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obtenir un permis du gouvernement allemand… un permis d’exhumation, et nous pourrons ramener votre cher mort en terre française.

— Oh ! Monsieur l’aumônier, si vous pouvez obtenir cela !…

Et Georges, étreint par une inexprimable émotion, fondit en larmes.

— Je l’obtiendrai, reprit l’abbé d’Ormesson : votre douleur me touche trop profondément pour que je ne m’efforce pas de l’adoucir. J’ai souvent pensé à ce calvaire, que, si jeune, vous avez si vaillamment gravi. Je me suis souvent reporté à ce moment où, parmi les morts étendus dans la petite église de Saint-Privat, nous nous agenouillâmes près de celui que vous étiez venu chercher. Je vous revois encore, prenant sa croix et mettant en échange, sur sa poitrine, votre médaille de baptême. J’avais reconnu en vous le sang généreux et l’ardeur bien française de ce soldat tué à l’ennemi, lorsque, vous arrachant à cette grande douleur, vous étiez parti pour combattre, vous aussi.

Vous avez tenu les promesses de votre jeunesse, mon enfant, puisque je vous retrouve officier, revenant de ce Tonkin, pépinière de braves soldats. Aussi, dès que j’aurai accompagné le corps de notre pauvre Amiral jusqu’à Abbeville, sa ville natale, me mettrai-je en campagne pour mener à bien l’œuvre dont je vous parle… Vous n’aurez à vous occuper de rien. J’aurai prévu tous les détails ; je vous écrirai seulement : « Venez. »

En même temps qu’une reconnaissance infinie gonflait le cœur du jeune officier, son âme se dilatait ; ce bonheur qu’il n’espérait plus, venant se joindre à celui qu’il entrevoyait, faisait de son retour en France un voyage béni.

Aussi, lorsque la vigie signala les côtes de Provence, fut-il un des premiers à monter sur le pont pour les apercevoir.

Cinq ans !… Il y avait déjà cinq ans qu’il était parti !

Que de choses vues, d’émotions ressenties, de pays étranges parcourus pendant ces cinq ans, et quelle différence il y avait, mes enfants, entre le cerveau du « petit marsouin » déjà pétri par l’expérience, et celui de l’officier de la même promotion qui avait vécu tranquillement, pendant cette même période, de la vie monotone de garnison ! Combien, à cette heure, riche de souvenirs et le cœur plein de mystérieux espoirs dont l’éloignement avait décuplé la valeur, il s’applaudissait d’avoir choisi l’infanterie de marine.