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— Les Chinois ! À Hanoï ! c’est de la démence. Tout était tranquille ici et on ne parlait de rien hier soir.

— Des dépêches sont arrivées : le général de Négrier vient d’être tué ; sa brigade démolie ; cent mille Chinois dévalent de Lang-Son.

— Le général de Négrier tué ! C’est cela qui serait un désastre ! fit Georges Cardignac devenu soudain très pâle.

Et, laissant là Paul Cousturier, il se précipita à l’État-Major.

Une grande émotion y régnait. Les nouvelles étaient des plus inquiétantes en effet : la brigade Négrier, laissée seule à Lang-Son, pendant que la brigade Giovaninelli se hâtait vers Tuyen-Quan, avait subi un véritable désastre.

Après s’être emparée de la porte de Chine, elle avait été accablée par l’armée du Kouang-Si : 60.000 Chinois avaient entouré les 1.500 Français valides qui restaient debout dans cette brigade, et le courage avait dû céder au nombre. Lang-Son venait d’être évacué, et l’armée française en déroute battait en retraite sur le Delta, poussée, l’épée dans les reins, par les Chinois victorieux.

— Et le général de Négrier ? demanda Georges.

— Il est blessé d’une balle à la poitrine ; mais la dépêche ajoute qu’on espère le sauver.

Le jeune officier respira ; avec tous ceux qui connaissaient le vaillant général, il estimait qu’à lui seul, il valait plusieurs milliers d’hommes, tant son nom imposait aux Chinois, et que rien n’était perdu s’il survivait.

Mais une grande agitation régnait dans la ville. Les Annamites cachaient à peine leur joie ; les Français étaient atterrés.

— Eh bien, dit Georges à son ami Paul, lorsqu’il le retrouva, tes vœux sont exaucés, car Pépin avait raison : nous ne partons plus.

— Plus du tout !

— Tant que la situation ne sera pas rétablie, tout au moins ; il est bien certain que le moment de quitter le Tonkin n’est pas celui où les Chinois menacent de nous en faire partir en nous jetant à l’eau.

Et Paul Cousturier fit une nouvelle grimace, car l’alternative qui s’ouvrait de ne plus partir du tout ne lui souriait pas plus que celle de partir tout de suite. Mais le goût du petit batailleur de jadis pour les aventures domina bien vite les préoccupations de l’artiste.