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Et, à voix basse, il expliqua à son ami que ce sous-officier, avec huit sapeurs du génie et une centaine d’outils seulement, avait été l’âme de la défense ; qu’il avait construit un ouvrage extérieur ; confectionné des milliers de gabions et donné des preuves d’intelligence et d’énergie qui avaient fait l’admiration de la garnison.

— Seulement, conclut-il, le pauvre garçon n’en reviendra pas : il a été blessé grièvement en faisant une ronde, il y a huit jours. Il a fallu l’arracher au rempart ; il ne voulait pas abandonner son poste. Si l’histoire était juste, elle mettrait son nom à côté de celui de Blandan[1].

Mais Andrit se tut et une grande émotion envahit les deux jeunes gens. Le général Brière de l’Isle venait d’attacher la croix de la Légion d’honneur sur la poitrine du sergent Bobillot… On entendit le blessé murmurer :

— Oh ! merci, mon général ; je suis bien heureux… bien heureux !…

C’étaient les dernières paroles qu’il devait prononcer.

Le général et son état-major sortirent.

— Bon courage, mon enfant, fit, de sa grosse voix, le colonel Giovaninelli en franchissant la porte, et à bientôt le bateau pour France !

Andrit et Cardignac allaient sortir à leur tour, lorsque, sur l’une des nattes, un blessé se souleva, appelant fiévreusement :

— Mon lieutenant ! oh ! mon lieutenant !

— Rousseau ! s’écria Georges allant aussitôt vers lui, vous ici !

Mais le blessé hocha la tête.

— Rousseau, dit-il d’une voix faible, personne ne le connaît ici. C’est Erkmann : demandez plutôt au lieutenant.

Il désignait Andrit et celui-ci dit à son ami :

— Tu connais ce légionnaire ?

— Oui.

— Mais tu l’as appelé d’un nom qui n’est pas le sien ?

— Es-tu sûr que ce ne soit pas le sien ?

— C’est vrai : avec les légionnaires on ne sait jamais. Le plus souvent, en s’engageant, ils tirent une barre sur le passé, et j’ai eu sans m’en douter, dans ma section, en sortant de Saint-Cyr, un Allemand qui avait été lieutenant dans la Garde, avait triché au jeu et déserté. Dans tous les cas, pour

  1. Bobillot a comme Blandan, le héros de Beni-Mered (1842), sa statue à Paris.