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la plume ou, pour être plus exact, le pinceau, jouit seul de la considération publique ; après lui viennent en ordre décroissant les agriculteurs, puis les manufacturiers et enfin les commerçants. Le soldat dont le rôle en tout pays consiste à assurer la sécurité des autres classes, à conserver l’intégrité du sol national, le soldat chez eux ne vient qu’en cinquième ligne et occupe le bas de l’échelle : il passe pour un parasite, un inutile, et de fait n’étant soutenu par aucun idéal, étranger aux vertus guerrières qui font la force des peuples d’Europe, le soldat chinois ne connaît que deux procédés au combat : la ruse ou la fuite.

C’est ainsi que, dans une période qui embrasse plusieurs milliers d’années, l’histoire de la Chine ne mentionne qu’un seul héros ayant acquis la réputation d’homme de guerre. C’est l’empereur Tsin-Schi-Hwang-Ti ; et notez qu’il vivait deux cents ans avant Jésus-Christ.

Aussi, voyez, mes enfants, ce que devient une nation, fût-elle la plus nombreuse du globe, lorsqu’elle ne s’appuie pas sur une armée digne de ce nom. Elle tombe en décomposition : un jour vient où, constatant sa faiblesse, chacun de ses voisins s’en attribue un morceau : elle est dépecée et disparaît. C’est le sort qui attend le Céleste-Empire et qui depuis longtemps eût été le sien si les nations européennes, jalouses les unes des autres, n’eussent maintenu debout par leur jalousie même le colosse jaune vermoulu.


À la suite du guet-apens de Bac-Lé, la guerre fut officiellement déclarée à la Chine, car — admirez les subtilités diplomatiques — jusqu’alors la France n’était en guerre qu’avec les Pavillons-Noirs : tout le monde savait que les armées chinoises du Yunnan et du Kouang-Si étaient engagées contre nous ; mais par une « chinoiserie » — le mot vient de lui-même sous la plume — dont on trouve peu d’exemples, la Chine officielle n’avait pas été jusque-là en état de guerre avec la France et le fameux Li-Hung-Chang n’avait jamais cessé de négocier.

Lorsque cet état de guerre fut enfin déclaré, l’amiral Courbet rentra en scène, et ce fut alors qu’il accomplit ce coup de vigueur et d’audace qui consacra sa réputation.

Remontant la rivière Min, il brûla Fou-Tcheou, le principal arsenal du Céleste-Empire, et détruisit l’escadre chinoise. Si on l’eût laissé faire, il eût été dicter à la Chine les conditions de la paix dans le golfe de Petchili, c’est-