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indigènes, et Georges Cardignac s’étonna d’autant moins de la perte de cette lettre qu’il avait jadis longtemps attendue, que de Saïgon il avait été envoyé, pendant trois mois, dans la petite île de Poulo-Condor, pour y commander le détachement qui y surveille le dépôt de condamnés.

La lettre de M. Ramblot devait dater de cette époque, et Georges, en recevant confirmation d’une nouvelle à laquelle il avait essayé longtemps de ne pas croire, éprouva un violent serrement de cœur : il comprit alors que l’oubli n’avait pu encore se faire en lui, malgré les pérégrinations et les émotions de la vie de campagne.

Mais une autre nouvelle, apportée par cette même lettre, l’impressionna douloureusement, tout en lui donnant l’explication du silence de M. d’Anthonay à son égard ; silence qu’il ne s’expliquait pas davantage, car l’ancien magistrat lui avait montré une affection plus solide et plus profonde que celles qui naissent habituellement des rencontres de voyage.


« Notre généreux bienfaiteur, écrivait M. Ramblot, est au plus mal, et quand vous recevrez cette lettre, qui sait si nous n’aurons pas perdu cet homme au grand cœur, à qui nous devons tant. Il parle souvent de vous, mais il souffre horriblement et ne peut plus se livrer à la moindre occupation. Le professeur Delorme m’a dit qu’il ne pouvait être sauvé que par une opération, que sa faiblesse actuelle ne lui permettrait probablement pas de supporter.

« Dans tous les cas, il a prescrit à notre cher malade le climat du midi et c’est pourquoi nous sommes tous réunis à Nice, l’entourant de tous les soins que nécessite sa cruelle maladie.

« C’est pourquoi aussi je n’ai pu, à mon grand regret, aller présenter mes hommages à Madame votre mère, à Versailles, comme j’en avais l’intention ; lui dire tout le bien que je pense de vous et toute la gratitude que je vous dois.

« Qu’il est loin déjà le temps où j’ai eu l’honneur de la recevoir chez moi.

« J’espère bien cependant, un jour ou l’autre, accomplir ce que je considère comme un devoir, et lui présenter à nouveau mes deux grandes filles, qu’elle aura du mal à reconnaître, mais qui n’ont oublié, ni l’une ni l’autre, leur petit ami d’enfance, devenu le sauveur de leur père. »