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Mais il prêchait dans le désert ; bien forte eût été la puissance qui eût obtenu ce résultat, du gamin emballé à fond.

— Ah ! mais non, s’écria-t-il ; non, monsieur Cave ! je me bats et je me battrai tant que j’aurai une cartouche !

Ce n’était pas du reste l’instant de faire des discours. M. Cave qui avait, lui aussi, des cartouches à tirer, n’insista pas, et l’on vit un instant le maître et l’élève tirailler côte à côte, quand soudain le professeur s’affaissa.

Une balle l’avait touché en pleine poitrine.

Paul ne s’en aperçut qu’au bout d’un instant. Il allait porter secours à M. Cave ; mais un obus arriva, puis un autre, et Paul, entraîné en arrière par le sergent, perdit de vue son malheureux professeur.

Il devait hélas ! en compagnie de son oncle, le ramasser le lendemain matin, contre le mur du parc de Montmusard… percé de sept coups de feu ![1]

Un quart d’heure plus tard, l’enfant était rentré sain et sauf à Dijon, et continuait à prendre part à la lutte opiniâtre qui se livra dans les faubourgs de la ville elle-même jusqu’à la nuit noire.

Une barricade faite de pavés, de meubles, de voitures renversées, de matelas avait été hâtivement construite rue Janin, contre le mur de la Recette générale.

C’est là, dans ce secteur, que Paul resta jusqu’au soir.

Quand la brume commença à envelopper les hommes et les choses, on put voir des maisons flamber, incendies allumés par les obus de l’ennemi, mais on tint quand même.

Ce fut une défense violente, exaspérée, que le drapeau blanc, hissé à la demande de l’Évêque de Dijon, sur le palais des Ducs, ne réussit pas à arrêter.

Seule, la nuit fit cesser le combat des deux côtés.

Or, vers six heures, quelques coups de feu isolés partaient encore, éclairant la rue de lueurs rapidement éteintes. Les Prussiens surtout tiraillaient encore, du haut de la terrasse de la Recette générale dont ils avaient réussi à s’emparer. Paul, exténué, brisé plus encore par l’excès de sa tension ner-

  1. Historique : M. Cave, professeur au lycée de Dijon, tué à l’ennemi le 30 octobre 1870, fut inhumé au cimetière de Dijon, avec les honneurs militaires que lui rendit une compagnie du 2e grenadiers badois.