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et, sans protester, les porteurs ainsi stimulés sautaient à travers les hautes herbes, leur charge sur la tête, pour rattraper leurs distances.

Pendant les premières journées, Georges chevaucha d’un bout à l’autre de la colonne pour surveiller la marche de son convoi, n’ayant guère le temps de converser avec M. d’Anthonay. Heureusement pour lui, Pépin, toujours à l’affût des services à rendre, avait obtenu le commandement des vingt-cinq hommes d’arrière-garde, et fut pour lui un auxiliaire précieux en poussant les traînards et en recueillant les charges abandonnées.

Quant à Baba, il ne cessait de gambader depuis le départ, car il avait trouvé un compagnon dans la personne d’un nègre porteur, d’une vingtaine d’années, qui parlait le même idiome que lui : dans son mystérieux instinct, l’enfant noir avait-il compris que ce compagnon, envoyé par le hasard, venait du même village que lui ? Toujours est-il que bientôt il ne quitta plus Mambi, c’était le nom du jeune nègre, et devint pour sa femme Sata le plus obligeant des domestiques : tranquillisé à son égard en le voyant adopté par ce noir ménage, Pépin ne s’occupait plus de lui.

Et ce ménage n’était pas le seul de la colonne : il y en avait comme celui-là plus de deux cents.

C’est même là un des côtés les plus pittoresques de la marche des colonnes de pénétration au Soudan. Tous ces porteurs, engagés par nos officiers, sont eux-mêmes suivis, pendant les étapes, par leurs femmes portant sur leur tête la provision de mil et de maïs, ainsi que la calebasse et le pilon de bois qui serviront le soir à la confection du couscous ; souvent même un enfant, assis à cheval sur leurs reins, le corps serré dans un pagne attaché sur la poitrine, augmente leur charge, et cependant elles vont, infatigables, pendant des kilomètres et des kilomètres. Leur troupeau sans ordre suit la colonne à quelque distance ; à l’arrivée au gîte, quand les porteurs, sous la surveillance des chefs de groupe, ont été déposer leurs charges au parc où ils viendront les reprendre le lendemain, les femmes arrivent, installent leur rudimentaire cuisine et, à quelque distance du camp des blancs, s’étale un bivouac grouillant d’où partent des appels rauques, des gazouillements d’enfants et des mélopées plaintives ; la nuit venue, les noirs fatigués s’endorment autour des feux ; les « marsouins » s’étendent sous la petite tente et les sentinelles seules veillent au milieu des mille bruits mystérieux de la nature africaine.