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Lorsque Georges Cardignac rejoignit Parasol, au bazar des frères Gardette, il le trouva occupé à réunir dans une caisse un certain nombre de boîtes de conserves.

— Fameux, ça, mon lieutenant, dit-il en lui montrant une sorte de galette, de la taille d’une enveloppe ordinaire : voilà un plat de légumes et ici une compote de fruits comprimés ; quand ça a gonflé dans l’eau et que c’est cuit, il y en a pour six personnes, et vous voyez, ça ne tient pas de place ; on mettrait ça dans son portefeuille : c’est à ne pas croire.

Le choix d’un fusil fut ce qui intéressa le plus Georges Cardignac, car Pépin l’éblouissait en lui parlant du gibier qui pullulait sur les deux rives du Sénégal, et quand, après les pintades, les outardes, les sénégali et les perruches vertes, le sergent eut énuméré les autruches, les caïmans, les hippopotames et les grands fauves des forêts soudanaises, Georges demanda aussitôt à l’employé qui le servait une centaine de cartouches à balles.

— Pas besoin, mon lieutenant, fit Pépin ; pour ces grosses bêtes-là, nous avons nos fusils Gras.

Quand il eut terminé ses acquisitions et que Mohiloff, suivi du petit moricaud Baba, ployant sous le faix d’une caisse de conserves, eut emporté toutes ces provisions, Georges Cardignac se disposa à rejoindre sa compagnie ; mais Pépin le retint.

— Mon lieutenant, dit-il, si vous voulez voir défiler ici les types qui forment le fond de la population du Sénégal, vous n’avez qu’à observer un instant. Il y a de tout ici, et M. Gardette, qui les connaît tous, va vous les présenter. Il y en a d’amusants, vous verrez,… et puis il faut savoir distinguer ici un Maure d’un noir ; ces gaillards-là se détestent et je me suis laissé dire que le grand talent du général Faidherbe, l’ancien gouverneur qui a tout fait ici de ce qui existe, était de s’appuyer sur les noirs pour venir à bout des musulmans ; ce qu’il y a de sûr, c’est que quand nous avons l’un pour nous, l’autre se met tout de suite contre nous.

Georges, que la variété des types et des costumes avait déjà frappé dans les rues de Saint-Louis et que la verve de Pépin amusait, s’assit dans un coin de la boutique.

— Tenez, dit le sergent en montrant un noir de haute taille, aux traits réguliers, à la barbe noire et frisée qui venait d’entrer, portant haut la tête : celui-là, c’est un Yoloff de marque, un musulman.