Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Derrière la brèche du mur éventré, trois chasseurs à pied avaient été tués !… On les emportait.

Le gamin pâlit.

— Le « brutal »[1] qui s’en mêle !… Va falloir s’en aller ! murmura rageusement le sergent.

Effectivement l’ordre éclata :

— En retraite !…

— Et du calme ! cria le lieutenant.

Courbés, pour donner moins de prise au feu de l’ennemi, les tirailleurs du 90e se replièrent, et, par un à droite, vinrent se replacer à cent cinquante mètres en arrière, sur l’alignement du parc.

Paul avait suivi le sergent.

Il était temps du reste, car les artilleurs badois avaient repéré leur tir, un paquet d’obus troua la luzerne et la route, à l’emplacement qu’ils venaient de quitter.

Mais, quand même, la position était indéfendable, et, par mouvements successifs, on dut ensuite continuer la retraite, tout en tiraillant.

Paul maintenant ne frissonnait plus ; le fait d’avoir quitté son immobilité, de s’être mis en mouvement, l’avait transfiguré, et, maintenant, une colère le saisissait de voir qu’il fallait reculer.

— Ah murmura-t-il encore, si j’avais un fusil ! Oh ! si j’avais un chassepot !

Comme une réponse, une balle prussienne troua le front d’un soldat qui s’abattit.

— Tiens ! dit alors le sergent, de sa voix calme, si calme que c’était terrible en pareil moment, tu vois ! Il n’y a qu’à commander pour être servi. Prends son fusil !… Sais-tu t’en servir ?

— Oh ! oui.

Le vieux déboucla la giberne du mort et la tendit à l’enfant. Il ajouta :

— Et voilà des cartouches !

Mais le feu de l’artillerie allemande redoublait ; leurs tirailleurs, postés maintenant dans le parc évacué, nous prenaient à revers : il fallait se replier sur Dijon.

  1. Surnom donné par les soldats au canon.