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Toucouleur et comme musulman ; mais il nous craint depuis que nous avons poussé jusqu’à Kita. Celui que je redoute le plus, je vous le répète, c’est ce nouvel ennemi, Samory, ce conquérant du Ouassoulou, qui s’est taillé un véritable royaume dans le Haut-Niger. C’est donc contre lui que j’organise la colonne dont je vous ai parlé, mais elle ne sera prête que dans plusieurs mois.

— Permettez-moi de la précéder, dit M. d’Anthonay ; je suis en relations de commerce avec des Maures de Bafoulabé et de Médine qui connaissent le pays entre Sénégal et Niger, et peut-être mon action ne vous sera-t-elle pas inutile.

— Vous laisser vous engager sans l’appui d’aucune force dans ce guêpier, encore si peu connu entre les deux fleuves, c’est vous exposer au sort de M. Ramblot, reprit vivement le colonel ; je ne le puis ni ne le dois.

Alors, donnez-moi une escorte, si faible soit-elle ; vous savez quel est le prestige que nous devons, dans tout ce pays, à la puissance de nos fusils : elle suffira à me permettre d’avancer : en m’avançant je prendrai des renseignements et je ne tarderai pas à être fixé sur le sort de notre infortuné compatriote.

Et comme le commandant supérieur, très perplexe, réfléchissait :

— Mon colonel, fit délibérément Georges Cardignac, permettez-moi de vous demander le commandement de cette escorte. Le colonel Borgnis-Desbordes leva la tête : il considéra un instant cette figure juvénile qu’il se souvenait d’avoir vue le matin même, parmi les nouveaux venus de France, et soudain traduisant son impression par un geste d’impatience accompagné d’un haussement d’épaules :

— Combien avez-vous d’années de présence aux colonies ? demanda-t-il, ironique et froid.

— Je suis arrivé ce matin, mon colonel ; je n’ai pas encore servi aux colonies, c’est vrai, mais je croyais…

Le commandant supérieur lui coupa la parole d’un ton sec :

— Il y a un peu d’outrecuidance dans votre demande alors, mon jeune camarade, je m’étonne que vous ne le sentiez pas : avant de songer à conduire une troupe dans l’intérieur, il faut vous faire au climat, apprendre quelques-uns des idiomes indigènes et savoir quelque chose du pays. Ce sont des vérités que vous auriez pu m’éviter la peine de vous apprendre.