Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/253

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— C’est la terre, dit l’ancien magistrat aux deux jeunes gens.

La terre ! Que de fois, depuis leur entrée dans l’infanterie de marine, ils avaient rêvé de leur nouvelle patrie, du pays des tropiques, vert et brillant sous un ciel toujours bleu. Dans leur imagination, l’Afrique ne leur apparaissait que dans le cadre merveilleux d’une végétation luxuriante.

Quelle désillusion ! Ce qui s’étalait sous leurs yeux, c’était une longue bande de sable jaune et de dunes mouvantes ; des solitudes monotones et tristes ; des horizons infinis où n’apparaissait aucun vestige de vie.

— Le Sahara, dit M. d’Anthonay.

— Té ! ajouta le docteur, c’est même un Sahara plus abominable que celui qui s’étend au sud de notre Algérie, car les Maures qui le parcourent sont les êtres les plus insociables et les plus féroces que l’on connaisse. On ne cite qu’un explorateur qui ait osé aborder cette côte inhospitalière : c’est un Français, Camille Douls, et ils lui ont fait souffrir mille tortures, le laissant des journées entières sans nourriture et sans eau.

— Ils appellent eux-mêmes leur pays : Al edel ateuch, le pays de la soif, reprit M. d’Anthonay : quelques-unes de leurs tribus poussent de fréquentes incursions sur la rive droite du Sénégal, et les malheureux noirs les redoutent comme le pire des fléaux.

Pendant toute la journée, le Stamboul longea cette côte désolée, et, vers le soir seulement, les cocotiers mirent dans ce paysage monotone la verdure de leur feuillage ; puis quelques huttes en paille apparurent, bientôt suivies de milliers de cases en chaume et de cabanes aux toits pointus. Des fourmilières de noirs se montrèrent sur le rivage, et le docteur nomma les deux, grandes villes formées par ces agglomérations d’indigènes ; Guet N’dar et N’Dartoute. Derrière, au-dessus des sables, une vieille cité blanche, encore endormie sous l’ardent soleil, des maisons mauresques, une mosquée, une tour, une église émergèrent peu à peu.

C’était Saint-Louis.

Entre le navire et la plage, une longue arête de vagues soulevées et tourbillonnantes se brisaient les unes contre les autres avec un fracas de tonnerre.

— Est-ce qu’il faudra franchir ça ? demanda Zahner, vaguement inquiet, car il n’avait qu’un goût modéré pour les mouvements de tangage et de roulis.