Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je vous ai fait réserver une excellente cabine, reprit le commandant du Stamboul : elle est loin de la machine, pour vous en éviter la chaleur et l’odeur ; loin de l’hélice pour vous en éviter les trépidations ; elle est munie de deux hublots, qui vous donneront de l’air ; et vous verrez, quand nous serons par le travers des Canaries, que ce n’est pas à dédaigner.

— Merci, mille fois merci, commandant, dit Georges ; mais mon capitaine sera peut-être moins bien que moi, et je vous serais bien reconnaissant, si…

— J’en étais sûr ; votre capitaine est bien installé : tranquillisez-vous et renoncez à l’idée de lui offrir votre cabine. Je tiens à répondre au désir de l’amiral de Nessy qui a toujours été un père pour moi.

Georges apprit alors que cet amiral, vieil ami de Jean Cardignac, son oncle, avec qui il avait été prisonnier avant la conquête d’Alger, ami également de Henri Cardignac, son père, avait été blessé devant Orléans, en novembre 1870, avait perdu le bras droit, et, depuis huit ans, était en retraite à Lorient.

Notre ami avait le temps de lui envoyer une dépêche de remerciements avant le départ du Stamboul : il ne manqua pas à ce devoir. Mais sa satisfaction d’avoir une belle cabine était gâtée par la pensée de savoir son ami Zahner relégué dans un réduit obscur, près des chaudières ; et ce fut d’une voix presque suppliante qu’il reprit :

— Au moins, me permettez-vous, commandant, d’avoir un ami avec moi ?

— Si vous voulez, mon jeune camarade ; il y a, dans cette cabine, une couchette au-dessus de la vôtre et un canapé transformable en couchette : place pour trois, par conséquent ; vous serez donc encore au large.

Et Georges Cardignac, qui n’avait jamais fait de traversée, put apprécier par la suite l’avantage qui lui était fait.

Quelques heures après, Mme Cardignac arriva avec le lieutenant-colonel Bertigny. Elle n’avait pu prendre le même train que Georges, ce train étant exclusivement militaire ; mais du moins serait-elle là, au moment où le bateau lèverait l’ancre.

Le cœur de Georges se serra lorsque sa mère l’embrassa en pleurant. Depuis quelques mois, ses cheveux avaient blanchi : elle avait tant pleuré déjà ! Mais, cette fois, ce n’était plus la séparation momentanée qu’elle avait connue à plusieurs reprises ; c’était une absence de deux ans au moins qui commençait.