pital quand ils sont malades. Cette sollicitude, elle est de tous les instants ; les sceptiques qui prennent encore aujourd’hui le soldat pour une machine et ne s’occupent que d’exiger de lui des mouvements d’automate, retardent de trente ans. L’armée d’aujourd’hui n’est plus l’armée d’avant 1870, et le soldat français, incorporé par le service obligatoire, n’est plus le soldat de métier de jadis. Il faut en prendre son parti et le traiter en homme.
C’est dans ces principes que le colonel Cardignac avait élevé son fils, et Pierre Bertigny lui avait confirmé, par ses souvenirs personnels, que cette méthode d’éducation était la bonne ; il lui avait cité l’exemple des deux officiers de peloton qu’il avait eus en Crimée : l’un préférant ses chevaux à ses hommes, et abandonné par sa troupe à la bataille de l’Alma ; l’autre, adoré de son peloton, et voyant se rallier à lui, au milieu du danger, non seulement les siens, mais les chasseurs du peloton voisin.
C’était également dans ces idées, toutes nouvelles alors — car l’ancienne armée n’y était pas faite — que le capitaine Manitrez avait dressé ses Saint-Cyriens, et Georges se consacra entièrement à sa tâche, non seulement d’instructeur mais d’éducateur.
Il n’était pas depuis deux mois à la 14e compagnie, qu’il était adoré de tous ses hommes.
Il faut dire, pour être juste, que Pépin n’avait pas peu contribué à ce résultat ; d’abord en racontant les débuts du jeune officier comme marsouin dans « la Division bleue » de l’armée de Sedan, ensuite en le désignant à ses camarades et à ses hommes comme la perle des chefs.
Le brave Pépin avait répondu, sans tarder, à l’invitation que lui avait faite Georges Cardignac de venir le soir dans sa chambre : il était venu une première fois cérémonieusement, n’osant presque pas marcher sur le tapis pourtant bien défraîchi, s’asseyant sur le bord des fauteuils, ce qui formait un contraste comique avec son aplomb habituel ; mais la deuxième fois, il était entré d’un air mystérieux, avait refermé la porte, et à mi-voix :
— Mon lieutenant, dit-il, je vous ai dit l’autre jour que je vous conduirais mon mioche… si vous permettez.
— Mais certainement, tu aurais dû me l’amener l’autre jour : quand t’y décideras-tu ? Tu m’intrigues avec ce mioche-là.
— Il est là, derrière la porte, dit Pépin en souriant : je vais le chercher. Il est encore timide, mais je vous défie bien de le faire rougir…