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son cousin Pierre et Margarita, et, avec Yvan Mohiloff, monta dans le train de Cherbourg. Malgré l’amertume de la séparation, il était rayonnant, et, à peine seul dans son compartiment, il tira de son portefeuille, pour la relire, la lettre qu’il avait reçue quelques jours auparavant de son colonel, en réponse à celle qu’il lui avait écrite pour se mettre à sa disposition.

« Venez, lui disait son nouveau chef ; je connais vos notes par le feuillet signalétique qui vient de m’arriver de Saint-Cyr, et je suis fier de vous recevoir dans mon régiment. Vous appartenez à une famille de braves : j’ai connu votre oncle à Sébastopol ; je sais la mort héroïque de votre père à Saint-Privat. Vous avez montré bien jeune encore ce que le patriotisme peut mettre de virilité et de courage dans une âme d’enfant. Venez, vous serez bien reçu dans votre nouvelle famille, et Dieu protégera toujours une carrière si glorieusement commencée. »

Georges connaissait de réputation son nouveau chef.

Le colonel Mangin, dont le nom a été porté si dignement dans l’infanterie de marine, avait guerroyé sous toutes les latitudes. C’était un vrai chef de marsouins ; dur à lui-même et aux autres ; d’une énergie farouche, lorsque de sa décision pouvait dépendre le sort d’une colonne, il se montrait paternel et indulgent surtout aux jeunes gens, lorsque, au retour des colonies, il reprenait, dans un port de mer, le commandement d’un régiment.

Une heureuse surprise attendait Georges à son arrivée à Cherbourg. Dans la gare, un sergent d’infanterie de marine qui semblait l’attendre, se précipita vers lui à sa descente de vagon, et, s’arrêtant court comme s’il eût résisté au désir de se jeter dans ses bras, se raidit soudain dans un salut militaire d’une correction parfaite.

— Pépin ! s’écria l’officier. Toi, ici ! Ah ! par exemple ! quel bonheur !

Les traits du Parisien — car c’était bien lui — se détendirent.

— Bon sang ! fit-il en bredouillant d’émotion, j’avais peur que tu ne… que vous ne me reconnaissiez pas, mon lieutenant.

— Ne pas te reconnaître, s’écria vivement Georges Cardignac, quand on a vu tout ce que nous avons vu ensemble, ce n’est pas possible !

Et se tournant vers Zahner :

— Je te présente, lui dit-il, le plus brave garçon que je connaisse, « mon parrain de guerre » comme je l’ai appelé jadis, car c’est lui qui m’a donné le baptême du feu. Figure-toi que, le 1er septembre 1870, la veille de