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À MES HOMMES QUI SONT MORTS


Mes compagnons, c’est moi, mes bonnes gens de guerre,
C’est votre chef d’hier, qui vient parler ici
De ce qu’on ne sait pas ou que l’on ne sait guère.
Mes morts, je vous salue et je vous dis : Merci !

Dormez dans la grandeur de votre sacrifice.
Dormez ! que nul regret ne vienne vous hanter ;
Dormez dans cette paix large et libératrice
Où ma pensée en deuil ira vous visiter !

D’ici, je vous revois, rangés à fleur de terre,
Dans la fosse hâtive où je vous ai laissés ;
Rigides, revêtus de vos habits de guerre,
En d’étranges linceuls, faits de roseaux tressés.
 
Les survivants ont dit, et j’ai servi de prêtre,
L’adieu du camarade à votre corps meurtri.
Certain geste fut fait bien gauchement peut-être ;
Pourtant je ne crois pas que personne en ait ri !
 
Mais Quelqu’un vous prenait dans sa gloire étoilée
Et vous montrait en haut ceux qui priaient en bas,
Quand je disais pour tous d’une voix étranglée
Le Pater et l’Ave que tous ne savaient pas !

Compagnons, j’ai voulu vous parler de ces choses
Et dire en quatre mots pourquoi je vous aimais :
Lorsque l’oubli se creuse au long des tombes closes,
Je veillerai du moins et n’oublierai jamais.

Si parfois dans la jungle où le tigre vous frôle,
Et que n’ébranle plus le recul du canon,
Il vous semble qu’un doigt se pose à votre épaule,
Si vous croyez entendre appeler votre nom,

Soldats, qui reposez sur la terre lointaine,
Et dont le sang donné me laisse des remords,
Dites-vous simplement : « C’est notre capitaine
Qui se souvient de nous — et qui compte ses morts ! »


Ce fut le lendemain de Noël 1877 que, bien pris dans sa tunique serrée à la taille, l’air ouvert et décidé, le sabre au côté, Georges embrassa sa mère,