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— Les autres, interrompit Andrit, savez-vous, madame, comment je les vois d’ici sans les connaître, ces soldats qu’on se figure indisciplinés et difficiles à commander ? À part quelques misérables exceptions, aventuriers à qui, seuls, imposent la force brutale et le régime des punitions, je crois qu’il y a parmi eux bien des meurtris et des désabusés ; et ces parias de la vie, renfermés dans le secret de leur misère, doivent avoir besoin, comme tout homme, de s’attacher et d’aimer. Il me semble qu’il doit être simple de trouver le chemin de leur cœur et d’en faire sortir des trésors de dévouement. J’ai lu leur Historique avant de partir. Quoi de plus grandiose que le combat de Camaron qu’ils soutinrent, soixante contre deux mille et où tous tombèrent ? S’ils sont capables d’un pareil héroïsme, c’est que ces dévoyés, jetés hors de la vie sociale, ont encore le culte de ce qui est grand ; car quoi de plus grand que le sacrifice de soi-même ? aussi je les aime d’avance et je veux être non seulement le chef, mais l’ami et le confident de ceux que le hasard me donnera à commander.

— Bravo ! Andrit, s’écria Zahner, je te reconnais bien là, et je connais plus d’un Alsacien attendant, pour s’engager à la légion, l’appel de l’autorité allemande ; je te les enverrai.

— C’est bien ainsi que, moi aussi, je comprends notre rôle d’officier, appuya Georges ; et, quand je serai aux colonies, je veux que les « marsouins » de ma section se regardent comme les enfants d’une famille dont je serai le père.

Combien tous deux avaient raison, mes enfants, de comprendre ainsi leur devoir de chef ! Quelles profondes satisfactions donne à l’officier l’affection de ces rudes natures, et quel fidèle souvenir garde au cœur, pour le restant de sa vie, le chef qui les a vus tomber, obscurs et silencieux, dans les rizières du Tonkin ou la brousse du Continent noir !

Écoutez plutôt quelques-unes des strophes adressées à ses hommes qui sont morts par le vicomte Borelli, cet admirable poète, qui était en même temps capitaine à la légion étrangère, et qui fut cité à l’ordre, après le siège de Tuyen-Quan. Je suis sûr que vous voudrez lire l’ode entière, quand vous connaîtrez le morceau suivant, dont chaque vers, disait Alexandre Dumas, fait venir les larmes aux yeux :