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Quant à l’armée des Vosges, elle se repliait sur Besançon, tout en tenant tête à l’ennemi à la Bourgonce, à Rambervillers, à Bruyères, à Étuz, à Châtillon. Enfin — justement le 30 octobre — une partie de cette armée des Vosges allait prendre contact avec les Prussiens, sous les murs mêmes de Dijon.


Vous comprenez, maintenant, mes enfants, l’état de surexcitation du jeune Paul.

Depuis un mois, il vivait dans une sorte de fièvre, ne rêvait que combats, avec, dans le cœur, une haine féroce de petit Français contre les envahisseurs.

Son bonheur suprême consistait à causer avec les soldats de passage, à manier leur fusil, chassepot, remington, winchester, fusil à tabatière ou même simple fusil à piston de l’ancienne époque. On n’avait pas le choix en effet : le gouvernement avait dû acheter partout, en Angleterre, en Amérique, des armes de tous les modèles, et les arsenaux avaient été vidés à fond de leur vieux matériel…

L’oncle Henri, en tant que professeur au lycée, faisait seulement partie de « la garde nationale sédentaire » ; mais ce n’était pas lui qui maniait le plus souvent son vieux « flingot » de l’ancien temps : Paul s’en emparait pour faire l’exercice dans la cour, et cela faisait le désespoir de Jeannette.

En effet, le malin petit diable faisait mille mauvaises niches à la brave femme. Il s’amusait à la poursuivre à la baïonnette ou même à la mettre en joue, ce qui causait à la vieille gouvernante une terreur folle.

Je dois même ajouter que Paul, s’étant procuré des capsules, faillit faire mourir la pauvre femme de saisissement, en lâchant un jour son inoffensif coup de feu par la fenêtre de la cuisine.

En outre, en dehors de ses escapades buissonnières, le gamin s’était constitué chef de corps. Oui ! Paul commandait un régiment composé de deux fillettes, âgées respectivement de douze et huit ans, très mignonnes, ma foi, et qui répondaient aux noms d’Henriette et Lucie Ramblot.

C’étaient les deux filles d’un gros négociant en toiles qui habitait la maison voisine, et avec lequel l’oncle Henri était lié d’étroite amitié.

Je vous dirai même qu’Henriette et Lucie avaient pris très au sérieux leur rôle de militaires, et c’était amusant au possible de les voir exécuter, avec un sérieux imperturbable, les ordres de leur « colonel ».

Elles s’étaient même passionnées pour le métier des armes, et, si gamines