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— Quelle heureuse chance de nous trouver ainsi sans nous être entendus ! fit Georges.

— Il me semble que je respire mieux ici, dit Zahner. Vois toutes ces femmes avec le large nœud alsacien : ne croirait-on pas être dans un coin de notre Alsace ?

— C’est pour cela que je suis venu, moi, dit le grand Rollet… On peut être sûr de me revoir ici tous les ans jusqu’à ma retraite.

— À ta retraite, dit Georges, il y aura longtemps que le service funèbre d’aujourd’hui sera célébré à Strasbourg !

— Dieu t’entende ! s’écria Zahner ; je consens, si tu dis vrai, à y venir à pied de la Nouvelle-Calédonie !

— Quelle foule ! observa le grand Rollet, quand ils furent dans la grande rue…

En effet plusieurs milliers de braves gens se pressaient autour de la modeste église où allait avoir lieu la cérémonie funèbre : généraux et officiers de tous grades, en uniforme, l’air grave et recueilli ; paysans et ouvriers aux mains fortes et au cœur chaud ; vieillards qui avaient vu et enfants qui avaient appris ; vétérans qui avaient combattu et soldats qui s’instruisaient pour combattre ; mères en deuil venant prier sur des tombes, jeunes filles insouciantes ou songeuses, tous portaient en eux le culte des mêmes souvenirs et des mêmes douleurs.

Avec quelle émotion Georges entendit la parole de l’évêque de Nancy retraçant le tableau de la funèbre journée du 16, et jetant aux échos de la frontière le cri de « Haut les cœurs ! ». Il faut pour la comprendre, cette émotion, mes enfants, l’avoir ressentie soi-même, et j’avoue que jamais homme ne m’est apparu plus grand, plus près de sa divine origine, que Mgr  Turinaz, l’évêque-soldat de Nancy et Toul, jetant aux échos de la frontière la protestation des annexés.

Ah ! je comprends que les Allemands ne l’aiment pas, ce grand prélat, car il entretient dans le cœur des populations lorraines, avec la religion du Christ, celle de la Patrie. Puisse-t-il longtemps encore, en élevant l’âme des foules vers le Dieu des Armées, réveiller les énergies affaissées et rappeler au vainqueur l’immanente justice !

Mais cette forte impression devait se doubler pour Georges d’un inoubliable souvenir.