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d’épreuves et d’exigences renouvelées : « Mossieu Bazar, vous faites honneur à « cet officier » et je vais vous « cafarder ». Et l’ancien ayant tenu parole, l’ouragan de brimades avait sérieusement diminué d’intensité pour le petit Saint-Cyrien.

Et rien ne l’intéressait comme ces petites manœuvres, véritables images de la guerre, auxquelles se livraient les compagnies, partant de bonne heure dans la campagne après le café du matin.

Au début, les compagnies luttaient l’une contre l’autre : car une lutte sans adversaire, avec « l’ennemi supposé », comme on dit en langage théorique, ne peut avoir l’intérêt et l’imprévu d’une rencontre avec « l’ennemi représenté », et la 1re  et la 2e compagnies, sœurs jumelles de la même division, se trouvant ennemies dans ces occasions-là, l’une partait d’un côté pour prendre position, l’autre, de l’autre, pour la chercher d’abord et l’attaquer ensuite au bon endroit.

Celle-ci, pour figurer l’ennemi, prenait le manchon blanc sur le képi ; celle-là, restée française, gardait le képi rouge.

À peine hors du village, on s’égrenait : les avant-gardes prenaient de l’avance pour fouiller le terrain en avant de la compagnie ; les patrouilles de flanqueurs se dispersaient en éventail à droite et à gauche pour ne pas laisser passer d’embuscade ; en un mot, mes enfants, on apprenait aux futurs officiers l’art essentiel de reconnaître la position de l’ennemi avant de l’attaquer ; et vous venez de voir, par des exemples récents, combien cette nécessité des reconnaissances, et d’une façon générale, du service de sûreté, s’impose, puisque les Anglais, pour l’avoir méconnue, ont trouvé moyen de tomber pendant si longtemps sous le feu des Boers, à courte distance, sans rien connaître de leurs positions.

Alors c’était de part et d’autres des ruses d’Apaches ; profitant de tous les couverts du sol, les éclaireurs se glissaient, rampaient vers la ligne des sentinelles ennemies, pour les surprendre et les tourner, et quand le capitaine d’une des deux compagnies, bien renseigné par son avant-garde et ses patrouilleurs, pouvait arriver dans le flanc de la compagnie adverse sans avoir été éventé, c’était une griserie générale : la charge sonnait, les Saint-Cyriens mettaient baïonnette au canon, s’élançaient, et la sonnerie de « cessez le feu » suivie de celle de « l’assemblée », ne réussissait pas toujours à maîtriser la fougue de ces jeunes emballés.