Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

semaine, étaient empilées par douzaine sur une toile de tente pour former ce que, par analogie avec la salade de bottes, on appelait l’omelette.

Il fallait une semaine pour rassembler ensuite les pièces d’une même arme.

En revanche l’étude où, de même qu’au dortoir, les recrues étaient seules avec leurs gradés, l’étude était un lieu de tranquillité relative ; car pour y arriver, il fallait que les anciens traversassent le Grand Carré, devant la porte du Cabinet de service toujours ouverte, et ne s’y risquaient que les « fines » n’ayant rien à craindre pour leur classement de fin d’année et déjà familiarisées avec l’ours.

Ainsi appelait-on la salle de police.

Mais quand l’une d’elles pouvait s’y introduire, et sans avoir été remarquée, fermer la porte derrière elle, l’étude entière était sa chose.

— Disparaissez, les hommes ! s’écriait-il d’une voix tonitruante, en allongeant démesurément la dernière syllabe du commandement. Et avec une rapidité sans exemple, tous les melons s’affalaient sous les tables.

— Debout ! hurlait l’Ancien, et toutes les têtes surgissaient à la fois.

C’était vraiment d’un curieux effet.

Mais parfois aussi une autre tête, inattendue celle-là, se montrait à travers le vitrage de la porte d’entrée. C’était celle du lieutenant de garde qui, s’apercevant de l’étrange manœuvre, happait le brimeur à la sortie et le faisait grimper à l’ours sans retard.


Je remplirais ce livre, mes enfants, des mauvaises farces qui étaient alors en honneur à Saint-Cyr, et que des milliers de Saint-Cyriens, dont beaucoup portèrent par la suite des noms glorieux, ont supportées gaiement. Ce que je vous en ai dit suffit à vous prouver que les débuts étaient durs à l’École Spéciale Militaire, et qu’il fallait, pendant sa première année, faire preuve de bon caractère.

J’entends même ceux d’entre vous qui n’ont jamais connu que les douces caresses de la famille et qui ignorent même la vie de pensionnaire, déclarer que de telles pratiques sont absurdes et ne servent à rien.

Laissez-moi vous dire, mes enfants, que, si elles sont modérées, si elles se bornent à d’innocentes taquineries, elles ont leur utilité : elles rompent à