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il avait été, en effet, reçu le 149e, et vous avez déjà deviné qu’il n’est autre que notre ami Georges ; vous avez déjà reconnu aussi, dans la femme en deuil qui l’accompagne, sa mère, Valentine Cardignac.

Et j’entends d’ici votre exclamation étonnée :

« Comment ! nous voilà en 1875 et c’est seulement quatre ans après la fin de la terrible guerre que Georges, ce petit marsouin en qui nous avions toujours vu un futur officier, entre à Saint-Cyr !

— Il n’a donc pas travaillé ? »

Si, mes enfants, Georges a travaillé ; mais, je vous l’ai dit déjà[1], le fils du colonel d’artillerie Cardignac, à l’inverse de son père, ne se sentait aucune disposition pour les études scientifiques ; il avait le tempérament artistique, l’imagination ardente, le goût des aventures, la passion des livres et des beaux vers ; et, se figurant que l’algèbre, la descriptive, la trigonométrie et toutes ces études arides qui conduisent au baccalauréat ès-sciences lui seraient inutiles, il avait laissé un peu trop délibérément de côté les mathématiques, et leurs succédanés, les sciences naturelles.

Après les récits de voyage et d’exploration qui avaient passionné sa jeunesse, il s’était pris d’un goût exclusif, d’une part pour l’histoire, de l’autre pour les découvertes et les expéditions au « continent mystérieux », comme on appelait encore l’Afrique à cette époque, c’est-à-dire pour la géographie sous sa forme la plus attrayante : si bien qu’après avoir, comme vous le savez, passé brillamment et sans efforts apparents son baccalauréat ès-lettres, il avait subi dans ses études un brusque mouvement d’arrêt.

Il est juste d’ajouter que la guerre y avait bien été pour quelque chose, et vous avez vu qu’en somme notre ami Georges n’était pas resté inactif pendant les six longs mois qu’elle avait duré.

Mais le maniement du chassepot n’a rien de commun avec l’usage des sinus et des tangentes, et quand, après cette dure période de sa vie, l’enfant de seize ans qu’était le fils du colonel Cardignac avait songé à s’orienter vers la carrière toujours rêvée d’officier, il s’était heurté à sa mère qui, avec une grande douceur, mais avec une non moins grande ténacité, lui avait déclaré :

  1. Filleuls de Napoléon.