Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

yeux sur les cartes de France pendues aux murailles, la tache noire de l’Est sollicite avant tout vos regards !

Vos maîtres vous en parlent. Ils font bien. Jamais on ne vous en parlera trop ! Et comme vous avez des âmes bien placées, vous comprenez et vous vous souviendrez !

C’est d’ailleurs, et je ne cesserai de vous le rappeler, c’est cette question de l’Alsace-Lorraine qui, traînée comme un boulet par la Prusse victorieuse, empêche avec elle toute réconciliation, et cela depuis trente ans.

Malgré ses blessures d’ailleurs, la France n’est pas morte : elle pèse quand même de son influence sur le monde, et, si on le voulait, elle pèserait encore d’un poids bien plus grand.

La suite de ce récit vous le démontrera, et vous y verrez que notre ami Georges fut, pour sa part, quelqu’un dans le relèvement de son pays.

Le relèvement de la France !

Personne ne faillit à cette tâche.

Georges et Paul s’y préparèrent par l’étude ; Pierre Bertigny, nommé lieutenant-colonel aux cuirassiers et resté à Versailles, s’appliqua de son côté à s’instruire et à instruire ses officiers avec les leçons pratiques de cette guerre, leçons qui modifiaient si profondément la tactique et la conduite des armées.

Il avait perdu un peu de sa fougue primesautière, le brave Pierre, et vivait modestement avec Margarita, dans une petite maison de l’avenue de Paris. Sa belle-mère était morte et la liquidation de sa fortune en Italie avait été désastreuse.

Peut-être les autorités italiennes y avaient-elles mis beaucoup de mauvaise volonté, en raison de la nationalité de Pierre Bertigny.

L’attitude du gouvernement italien avait été en effet des plus hostiles à notre égard, dès le début de la guerre franco-allemande. Profitant de notre détresse, Victor-Emmanuel, oublieux des services rendus, avait saisi l’occasion du retrait de nos troupes pour s’emparer de Rome ; et, comme si la reconnaissance eût été une charge trop lourde pour ce peuple qui nous devait l’unité et la liberté, il ne manqua plus, du jour où nous fûmes à terre, de nous manifester l’hostilité la plus tenace. Depuis trente ans, il s’est mis du côté de nos ennemis d’hier, et, en dépit des souvenirs de Magenta et de Solférino, on a pu voir l’héritier de Victor-Emmanuel s’allier contre nous avec l’Allemagne.