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Qu’ils soient donc toujours reçus à bras ouverts et traités comme des membres de la famille. Peut-être, au moment même où nous donnons « le bon gîte » au soldat inconnu qui passe, notre enfant ou notre frère voit s’ouvrir ailleurs devant lui la maison hospitalière d’un compatriote.

Mais à ce sentiment naturel chez tout bon Français, s’en ajoutait un autre tout spécial : M. Ramblot était, avouons-le, enchanté d’avoir à loger des turcos.

Du reste, Paul Cousturier, le diable à quatre, dès qu’il avait appris l’arrivée des « tirailleurs », s’était précipité à la mairie et avait insisté pour qu’on en envoyât rue Charrue, désir auquel on avait immédiatement acquiescé.

C’est qu’au milieu de toutes nos tristesses, de toutes nos défaillances, les turcos avaient conservé intacte leur réputation de sauvage intrépidité.

Tout le monde se rappelait leur admirable conduite à l’armée du Rhin, au début de la campagne, alors qu’ils prenaient et reprenaient jusqu’à sept fois de suite une batterie prussienne.

On savait que beaucoup avaient alors refusé d’écouter la sonnerie « en retraite », et s’étaient fait hacher plutôt que de lâcher les canons pris, dont ils étreignaient avec force les cous de bronze.

Ah ! Il n’y a pas à dire ! Ce sont de rudes soldats que ces Arabes ! Une fois lancés, c’est une trombe, une avalanche. Lorsque les obus ne les arrêtent pas en les tuant, ils arrivent quand même jusqu’à l’ennemi !

Car la mort pour eux n’a rien d’effrayant.

Il est certain qu’au point de vue du feu, ils gaspillent un peu leurs cartouches, se grisent du bruit des détonations, en faisant avant tout « parler la poudre » comme dans les « fantasias » de leurs pays, où, vêtus de burnous éclatants, ils s’exercent au jeu de la guerre ; mais, quand la charge éclate et qu’on les lâche, baïonnette haute, il faut des remparts pour les arrêter ! Aussi tous ceux qui aiment la bravoure, c’est-à-dire tous les Français, regardent les turcos comme les plus précieux de nos auxiliaires indigènes.

M. Ramblot était donc tout joyeux d’avoir à loger le sous-lieutenant Paul Augier et son ordonnance Barka. Il n’était pas du reste le seul à éprouver cette satisfaction, car, sans compter notre ami Paul, les deux petites, Lucie et Henriette, n’avaient pas assez d’yeux pour admirer la tenue azur du sous-