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tenté le mouvement tournant sur la gauche des Allemands, en s’appuyant, d’abord sur la Loire, et ensuite sur les places de l’est, Besançon et Lyon.

Ce plan était — théoriquement — très bien conçu ; pratiquement il ne réussit pas, à cause de difficultés nombreuses d’exécution, et notamment des fautes multiples qui furent commises dans l’organisation des ravitaillements en vivres et munitions.

Quoi qu’il en soit, il souleva dès le début de son exécution un véritable enthousiasme, car le Français possède en lui-même des trésors de foi et d’espérance.

Aussi, dès qu’on eut constitué, à l’aide d’éléments puisés dans l’armée de la Loire, une armée nouvelle qui prit le nom d’« Armée de l’Est », la confiance parut renaître au cœur de tous.

Du reste, la fortune sembla un instant sourire à nos armes ; car le 30 novembre, le général Cremer[1] avait déjà arrêté les Allemands à Nuits ; et, le 18 décembre 1870, il leur infligeait, en avant de cette ville, une réelle défaite qui les forçait à rentrer, ainsi que vous l’avez vu, en grand désordre dans Dijon.

Dès ce jour, Georges ne put tenir en place ; et, chose singulière, ses forces semblaient renaître à l’approche des armées françaises.

— Ah ! quand donc vont-ils arriver ! s’écriait-il souvent,… quand donc vais-je pouvoir repartir ?

Le doux visage de sa mère s’assombrissait à ces poussées d’exubérant enthousiasme, et les petites Lucie et Henriette, contemplant gravement celui qu’elles considéraient comme un jeune héros, laissaient tomber de leurs longs cils des larmes silencieuses.

Quant au jeune Mohiloff[2], le petit Russe, qui avait retrouvé son jeune maître avec des démonstrations de joie qu’on n’eût guère attendues de cette nature peu expansive, il ne s’animait guère que lorsqu’il voyait Georges s’exalter.

Généralement taciturne, il passait des jours entiers sans prononcer une parole ; mais il couvait des yeux le blessé, se précipitant pour prévenir ses désirs, pour lui éviter une fatigue ou même un simple dérangement.

  1. Le général Cremer, jeune capitaine d’État-Major, évadé de Metz, avait été, comme aux grands jours de « la Patrie en danger », nommé général de division au titre auxiliaire.
  2. Voir Filleuls de Napoléon.