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Nous gagnâmes les bois de l’autre côté du ravin.

Encore une dizaine de kilomètres, me dit alors Pierre, et nous pourrons respirer.

Hélas ! ces dix derniers kilomètres, nous ne devions pas les parcourir ensemble — jusqu’à la fin du moins.

Soudain, comme nous descendions une pente légèrement déboisée, un peloton de hussards prussiens nous apparut.

Comment ! Pourquoi ? Dans quel but étaient-ils là, si loin déjà de leur centre ? Je n’en sais rien, et je ne le saurai jamais sans doute.

Depuis, en y réfléchissant, j’ai pensé que ce devait être, ou bien la pointe d’une reconnaissance envoyée à tout hasard dans le Nord, ou une troupe faisant un service de prévôté, ou bien encore un parti de cavalerie rentrant de donner la poursuite à quelques isolés de notre armée. Peu importe après tout : le fait brutal, c’est qu’ils étaient là, qu’il nous avaient vus, et qu’ils détachaient sur nous un groupe d’une douzaine des leurs sous les ordres d’un sous-officier.

— Vite ! me jeta Pierre,… prends à droite !… Et de l’éperon ! File devant !

En même temps il dégainait.

J’en fis autant, et, mon sabre-baïonnette dans la main droite, les rênes dans la main gauche, je lançai mon cheval sur la pente.

C’était une déclivité effroyable, au moins pour la descendre au galop de charge. Je suis certain que, de sang-froid et si solide que je sois sur une selle, je n’aurais jamais osé aborder à ce train-là un terrain pareil !

Mais il est des minutes où la raison n’a pas prise sur le cerveau ! Mon bai-brun bondissait à folle allure, au travers des roches moussues et des arbres abattus.

Ah ! quels chevaux que ces chevaux d’Afrique !. Quel pied !… Quel jarret !

Ce brave animal semblait comprendre la nécessité d’aller vite ; et pendant qu’il m’emportait, me secouant dans son vertigineux galop, je regardais par instants ce qui se passait derrière moi.

Ah ! mère ! quel cavalier admirable que mon cousin Bertigny ! Il était sur sa selle comme s’il eût été au manège, et je me rendis compte qu’il cherchait à « égailler » les hussards, à les disperser.