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Pierre ne dit pas un mot, mais il me serra contre sa poitrine.

— Viens ! dit-il. Allons voir !

Dès vingt chasseurs d’Afrique qu’il avait ramenés, quatre seulement restaient là avec leurs chevaux : tous quatre étaient blessés, du reste.

À la question de leur capitaine, ils répondirent qu’un général était survenu, qui avait disposé des autres comme estafettes. Pierre eut un hochement de tête et murmura :

— Enfin !…

« Mes amis, continua-t-il en s’adressant à ses chasseurs, allez à l’ambulance vous faire panser.

« Au préalable, rangez vos chevaux ; donnez-leur l’avoine,… ils l’ont bien gagnée ! Toi, Georges ! prends ce bai brun et suis-moi !

J’obéis, et Pierre, tenant également son cheval en main, nous réussîmes à sortir de Sedan.

Ce ne fut pas sans peine ! Nous ne l’avions pu que grâce à un incident qui porta la rage de Pierre à son apogée.

Un général de la maison de l’Empereur, à la tunique bleue rehaussée d’or, passait avec un trompette et une faible escorte, dont le maréchal des logis portait le fanion blanc. Il fit déblayer la porte encombrée, et nous passâmes dans son sillage.

— Qui est-ce ? demanda Pierre à un monsieur en civil qui se trouvait là.

— C’est le général Reille, capitaine ; il part avec un pli de l’Empereur pour demander un armistice.

Et il ajouta avec un soupir de soulagement :

— Ça n’est pas trop tôt !

Je crus que cousin Pierre allait lui envoyer sa main sur le visage ; mais il se contint.

Un instant plus tard, nous nous arrêtions derrière la forte palissade des glacis ; Pierre attacha les chevaux, les dessangla légèrement, et leur servit la ration d’avoine que le mien portait sur son paquetage.

— Mon Georges ! fit-il alors, faisons comme nos chevaux : reposons-nous ! Reprenons des forces… Nous en aurons besoin cette nuit.

Alors, assis près de nos montures, nous assistâmes à l’engouffrement désordonné des troupes dans la ville ; nous vîmes les portes se fermer, et des milliers de soldats débandés envahir les fossés avec des hurlements de colère.