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C’était donc à la fois une guerre d’indépendance et une guerre de religion, poussée jusqu’au fanatisme, qu’ils allaient entreprendre contre nous.

Vous avez peut-être, mes enfants, de grands frères qui ont pris part à nos guerres coloniales actuelles : au Tonkin, à Madagascar, au Soudan.

Peut-être les avez-vous écoutés avec une attention admirative, lorsqu’ils racontaient, autour de la table de famille, les péripéties de leurs luttes et de leurs combats.

Eh bien, si rudes qu’aient été leurs épreuves, soyez sûrs que les conquérants de l’Algérie durent en subir de plus dures encore.

À cette époque, en effet, les progrès scientifiques adaptés aujourd’hui à la guerre, n’existaient pas. On en était encore au fusil à pierre, au canon de bronze se chargeant par la gueule, comme sous le Premier Empire.

Le service médical, malgré le dévouement de ceux qui le composaient, ne possédait ni les antiseptiques, ni les fébrifuges connus aujourd’hui ; or, de tous les ennemis, la fièvre est peut-être, pour le soldat en expédition coloniale, le plus redoutable des dangers.

Les Arabes étaient il est vrai mal armés, sans discipline ; mais ils avaient — pour eux le nombre, la connaissance de leur sol et surtout l’accoutumance du climat.

Enfin il surgit au milieu d’eux — ainsi qu’il arrive parfois chez les peuples aux heures de crise — un grand chef, l’Émir Abd-el-Kader, qui trouva moyen de les discipliner, en partie du moins, et qui fut pour nous un adversaire tout à fait redoutable.

Ajoutez à cela les difficultés pendantes en Europe et qui, détournant le gouvernement français de l’attention continue qu’il eût dû porter aux choses de l’Algérie, le prédisposaient à n’agir qu’avec lenteur au lieu de porter tout de suite un coup décisif.

Et vous ne serez pas étonnés que la conquête proprement dite de l’Algérie ait nécessité, de la part de nos généraux et de nos soldats, trente années d’efforts continus et une somme de bravoure invraisemblable.

Ce qui est certain, c’est que notre ami Henri Cardignac ne fut pas le dernier à donner de sa personne : de 1830 à 1836, c’est-à-dire en six ans, il ne revint en permission en France qu’une seule fois, en 1832, en congé d’un mois, et dans des circonstances particulièrement tristes, car c’était pour rendre à ses grands parents, Jacques et Catherine Bailly, les derniers devoirs.