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cela, je suis tranquille ; s’il doit tomber, mon chasseur tombera comme je suis tombé moi-même… face en avant !

« Car — continuait-il en soliloque — je suis tombé quelquefois en route… mais bah ! est-ce que je ne me suis pas toujours redressé, et plus droit qu’auparavant ! Il fera comme moi, l’enfant, et vive la France ! »

Une seule chose le chiffonnait, et il murmurait dans sa moustache :

« Il n’y a qu’une tache au tableau. Je passerais encore pour Bourmont, bien que j’en eusse préféré un autre… car enfin, après tout, il est de son école à Lui ! Mais c’est leur satané drapeau blanc !… ce drapeau blanc qui vous donne toujours l’air d’arriver en parlementaire ! »

Ils étaient d’ailleurs nombreux en France, ceux qui pensaient comme le colonel : le culte de Napoléon restait d’autant plus vivace que sa mort en exil, à Sainte-Hélène, l’avait singulièrement grandi aux yeux attendris des Français.

Il n’y avait que neuf ans de cela, et, déjà on lui pardonnait tout : son despotisme, ses fautes, son ambition, et tout le sang versé aux quatre coins de l’Europe.

La légende commençait, et quelle légende !

Et l’imagination du colonel vagabondait dans le glorieux passé, pendant que, devant lui, trottaient gaillardement les cinq percherons, de l’attelage.

Puis un pli de tristesse barra son front, car, de cette épopée inoubliable, il retomba dans des souvenirs plus récents, et il revit ses anciens camarades de l’armée impériale, pourchassés, traités de « brigands de la Loire », arrêtés pour un souvenir à l’adresse de celui qui avait emporté dans son exil le meilleur de leur âme ; il se remémora ces persécutions iniques, cette chasse impitoyable à tout ce qui ne reniait pas le glorieux passé ; il vit passer devant ses yeux la noble figure du maréchal Ney, que l’éloquence de son défenseur Berryer ne put arracher à la mort.

Ney ! le Brave des Braves ! le plus populaire de tous ces héros du premier Empire, si populaires pourtant !

Ney ! de la main duquel, lui, Cardignac, avait reçu son grade de colonel.

Ah ! comme cela était triste ! Et quelle douleur amère lui serrait le cœur en songeant que Ney, cent fois épargné par les balles ennemies, était tombé, frappé par des balles françaises.

Hélas, oui ! mes enfants, près de l’Observatoire, presque à la place où vous