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doute parce qu’il ne le connaissait que sous ce surnom que le grade d’officier fit naturellement abandonner pour le nom de Cardignac ; mais le Cheik El-Messiri avait recommandé à son fils de n’oublier jamais le service rendu. Lakdar avait juré. C’est ainsi qu’il s’était pris d’une véritable affection pour les Français et surtout pour leur chef, ce jeune général Bonaparte, si rayonnant de gloire, que les Musulmans eux-mêmes ainsi que les Fellahs d’Égypte le disaient envoyé par Dieu.

Avec l’affection, l’enthousiasme était venu ; et, lorsque le corps des mameluks avait été formé, Lakdar avait demandé et obtenu d’en faire partie.

Depuis, il avait parcouru l’Europe derrière son héros devenu Empereur ; mais jamais il ne s’était trouvé en contact avec l’ancien sergent du corps des Dromadaires, qu’il ne connaissait pas, du reste.

— Pourtant, interrompit Henri, tu as dû suivre mon père de près, puisqu’il a toujours été dans la Garde ou à l’État-major de l’Empereur.

— C’est ainsi cependant, repartit Lakdar.

Puis, avec le fatalisme inné de sa race :

— Mektoub ! conclut-il… Il était écrit que je ne le retrouverais pas, mais il était écrit aussi que je connaîtrais son fils ; Allah est juste !

— Enfin, reprit Henri avec sa jovialité toujours un peu ironique, tu nous as lâchés après Waterloo ; tu as eu tort !

— Je n’aimais qu’un maître après Allah ! c’était ton Empereur. Lui parti, je suis revenu vers Allah !

— Le raisonnement ne manque pas de logique, dit le commandant d’Assigny ; mais c’est égal ! Tu dois convenir toi-même qu’entre les procédés français et ceux du Dey Hussein, il y a une différence sensible : nous autres, nous sommes humains, nous sauvons les prisonniers du massacre, et chez vous on décapite des malheureux sans défense.

— Oui ! c’est vrai…

Il y eut un silence après lequel Lakdar continua :

— Sois sans crainte, commandant… Maintenant que je sais… vous êtes sacrés pour moi. Qu’Allah me pardonne, mais je vous protégerai, même au prix de ma tête.

Il s’interrompit, prêtant l’oreille :

— Silence ! reprit-il ; j’entends Mokran qui vient prendre sa garde.