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Un regard d’étonnement mêlé à de l’admiration éclaira le visage de l’Arabe.

— Oui, poursuivit Henri, mon frère jumeau et moi, nous sommes les filleuls de Napoléon, et cela, grâce à l’amitié qu’il avait pour mon père, qui l’a suivi partout dans ses batailles, depuis Valmy jusqu’en Égypte, jusqu’à…

— En Égypte ! interrompit Lakdar. Ah ! oui !… j’avais seize ans… Il s’appelait alors Bonaparte… Et c’est dans cette campagne que vous avez pris Alexandrie, où résidait mon père, le cheik El-Messiri…

— El-Messiri ! s’écria Cardignac.

— Tu le connais donc ? interrogea Lakdar.

— Certes, je connais son nom. Bien souvent mon père en parlait devant nous, car lui l’a connu et même lui a rendu un de ces services que le Cheik n’a pas dû oublier, s’il vit encore.

— Que dis-tu ?… Ton père !… que fait-il ?

— Il est ancien colonel au 1er grenadiers de la Garde impériale ; mais lors de la campagne d’Égypte, il était sergent.

— Sergent ! et il a connu le Cheik El-Messiri !…

— Parbleu ! Il a empêché qu’on ne le fusillât ![1]

Lakdar se redressa ; malgré le flegme habituel à sa race, une émotion intense se lisait sur ses traits.

— Ton père ! balbutia-t-il… Un sergent !… Dis-moi son nom ?

— Tiens ! fit Cardignac en souriant, en voilà une demande ! Il s’appelle comme moi… Cardignac.

— Il n’avait pas d’autre nom ? insista Lakdar avec une anxiété visible.

— Mais non !… c’est-à-dire, si. Il avait un surnom qui lui venait de ce qu’il avait été tambour à la 9e demi-brigade… On l’appelait Jean Tapin.

L’Arabe se redressa d’un bond. Il étendit les bras, et, se précipitant vers Henri, lui étreignit les deux mains et baisa son épaule droite :

— Allah ! Allah !… s’écria-t-il, ton père a sauvé le mien !… Tu es mon frère !

Jugez, mes enfants, de la stupeur qui s’empara des assistants devant cette scène étrange. Quand la première émotion fut calmée, Lakdar raconta :

Il n’avait jamais pu retrouver Jean Tapin, le sauveur de son père, sans

  1. Voir Jean Tapin.