Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/436

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mahurec eut un geste de colère et s’assit sur un affût brisé, au bord de la route.

— Si j’étais sûr que nous attendions là un bout de temps… dit-il, je m’arrangerais un peu mon pansement, parce que je crois bien que le sang s’est remis à couler.

— Il faut l’arranger, Mahurec, dit Georges, je vais vous aider ou peut-être qu’un des médecins qui sont là…

Mais une longue silhouette venait de surgir devant eux : c’était un prêtre, un jeune prêtre. Sa soutane couverte d’une boue sanglante, ses cheveux en désordre, l’altération de ses traits montraient assez comment il avait passé la nuit : il avait parcouru le champ de bataille, traversant les lignes allemandes, grâce à son costume, cherchant à surprendre parmi les corps immobiles, un reste de vie, passant des morts aux blessés, aidant les agonisants à mourir.

Il se nomma : il s’appelait d’Ormesson ; Georges connaissait ce nom, il appartenait à une vieille famille française qui avait donné à l’armée, au clergé, à la diplomatie, d’illustres enfants. Sorti de Saint-Cyr quelques années auparavant comme sous-lieutenant, le jeune homme s’était senti soudain emporté par une vocation religieuse irrésistible et avait été ordonné prêtre ; mais quand la guerre avait éclaté, il était revenu prendre place au milieu de ses compagnons d’armes ; il était aumônier à la 4e division du Corps Canrobert.

Sa figure fine et aristocratique, ses yeux noirs et profonds, la mélancolie douce épandue sur sa physionomie, attiraient la sympathie. Il avait entendu les derniers mots de Georges.

— Laissez-moi vous refaire ce pansement, mon ami, dit-il en s’agenouillant devant Mahurec.

Et bien que le Breton s’en défendît, il déroula avec d’infinies précautions la bande de toile qui enveloppait le membre blessé, mit la plaie à nu, et aidé d’un infirmier qui s’était approché, la lava avec soin. Quelques minutes après, le pansement était refait avec une parfaite dextérité.

— J’ai la jambe moins raide, fit Mahurec ; merci mille fois, Monsieur l’aumônier.

Ce dernier reprit :

— Ce n’est pas tout ; il ne faut plus marcher avec une pareille blessure,