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cavalier remit son sabre au fourreau, et donna un ordre à deux Arabes de sa suite.

Ceux-ci, sautant à terre, saisirent Muttin et Goelder, les remirent debout, leur attachèrent les deux poings au pommeau de leur selle et remontèrent à cheval.

Éperonnant alors leur monture, ils poussèrent de force, avec leur genou, les deux blessés qui, flageolant, durent quand même accomplir de la sorte le long trajet de six lieues qui devait les amener à Alger ! Le soleil commençait à décliner lorsqu’ils arrivèrent en vue de la célèbre capitale des Deys.

Henri avait déjà pu l’apercevoir de la mer ; il la voyait maintenant du côté opposé, du haut des coteaux qui la dominent. Il n’eut du reste que le temps d’y jeter un coup d’oeil, car un bois d’oliviers lui en intercepta la vue. La troupe se dirigeait en effet vers un groupe de bâtiments carrés, aux vastes terrasses d’un blanc cru, n’offrant pour toutes ouvertures que d’étroites fenêtres et de profonds créneaux. Au-dessus d’une tour massive flottait l’étendard rouge des Deys d’Alger : c’était la Kasbah, palais de Hussein ; l’autre groupe de bâtiments, entouré de hautes murailles et assis sur un mamelon entouré de verdure, était la forteresse qu’on nommait le « Château de l’Empereur ».

Des groupes de janissaires, d’Arabes richement vêtus, de Maures, de Kabyles armés, arrivaient à la rencontre des prisonniers, et ce fut sous le feu de ces milliers de regards hostiles qu’ils firent leur entrée dans la Kasbah. Un spectacle à la fois horrible et grandiose les y attendait ! Au-dessus du large patio[1], entouré, selon la mode arabe, d’une colonnade formant galerie et dallée de marbre, le ciel d’un bleu intense semblait un grand velum de soie.

La réverbération du soleil sur le blanc des murs répandait partout une chaleur suffocante, et une odeur acre se dégageait, faite du parfum pénétrant du musc et de la fade saveur du sang. En effet, sur deux trépieds d’argent ouvragé, brûlaient des essences dont la lourde fumée montait lentement en volutes bleutées ; mais entre ces deux braseros s’était une pyramide de têtes coupées, les têtes de leurs compagnons.

  1. Cour intérieure dans les habitations mauresques.