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compliment, car il n’avait rien prévu, rien ordonné, et le courage de ses soldats, seul, avait tout fait.

De leur côté, d’ailleurs, les Allemands s’attribuaient le succès, et, avec l’idée fixe qu’avaient leurs chefs, d’inculquer au soldat l’idée de victoire quand même, leurs musiques jouèrent jusqu’à la nuit l’hymne : Heil dir im Siegerkranz ![1].

Le lendemain 15, le Maréchal Bazaine fit continuer le passage de la Moselle pour la retraite sur Verdun, mais avec une lenteur calculée et des dispositions si défectueuses, que l’armée parcourut à peine quelques kilomètres dans la direction de cette place : quatorze kilomètres en deux jours !

Aussi, le 16 août, elle était arrêtée net dans son mouvement par l’attaque des Allemands, craignant que leur proie ne leur échappât.

Cette attaque et la glorieuse défense qui lui fut opposée portent dans l’histoire le nom de bataille de Gravelotte.

Cette journée-là aussi fut glorieuse, mes enfants, et, en voyant l’acharnement de nos soldats, les pertes énormes qu’ils infligèrent aux Allemands, leur ténacité à conserver leurs positions, le colonel Cardignac eut un instant l’espoir que la fortune de la France allait retrouver un triomphal essor.

Le matin, il avait assisté, à distance respectueuse, au départ de Napoléon III pour Verdun, et il avait éprouvé une émotion profonde en revoyant, pour la première fois depuis sept ans — pour la dernière fois aussi — le souverain qui l’avait si injustement disgracié. Le visage fatigué de l’Empereur était rougi par les larmes et son regard voilé ; dans son entourage « la tristesse était sur tous les visages, la désillusion dans toutes les pensées. »

Le Prince impérial et le Prince Napoléon l’accompagnaient.

Puis, toujours dans cette situation bizarre d’un officier sans lettre de service ni emploi, Jean Cardignac s’était décidé à rejoindre le groupe de batteries du 6e Corps, où Mahurec, plus heureux que lui, avait retrouvé un emploi de chef de pièce.

En y arrivant, il rencontra le Maréchal Canrobert, qu’il n’avait pu joindre la veille, mais que le lieutenant Roget avait mis au courant de la situation de Jean Cardignac.

  1. Salut à toi au jour de la victoire !