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Le train se remettait en marche pendant qu’hypnotisés, toujours penchés en dehors des portières, les mobiles continuaient à regarder. Des commandements leur parvinrent encore : les lignes du carré se brisaient en faces régulières ; les compagnies rompaient par sections pour le défilé, le défilé sans batterie ni sonnerie, devant les corps des fusillés, qu’impose le règlement à toutes les troupes qui ont assisté à la terrible parade. Et pendant que ce dernier acte du drame s’accomplissait dans le lointain de la plaine dénudée, le train emportait vers les champs de bataille de Borny, de Gravelotte et de Saint-Privat, ces soldats redevenus soldats par la terreur de l’exemple !


Dans les armées disciplinées, mes enfants, ces exemples sont rares, parce qu’ils sont inutiles ; dans les cohues armées où l’ordre est méconnu, où la voix des chefs n’est plus écoutée, où se préparent les paniques et les défaites, ils sont nécessaires, et, dans maintes circonstances tragiques de l’histoire, le salut de la Patrie en a dépendu.


Le trajet jusqu’à Verdun s’accomplit sans qu’un seul cri fût poussé ; un nouvel arrêt eut lieu dans cette gare pour laisser passer plusieurs convois de blessés provenant des premiers combats de Wissembourg et de Spickeren, blessés dont se débarrassaient les ambulances divisionnaires, en prévision d’autres batailles.

Et ce fut une autre leçon de choses pour ces soldats improvisés : lentement devant eux les wagons défilèrent, les uns contenant les blessés qui pouvaient encore se tenir assis, la tête entourée de linges sanglants, les bras en écharpe ; les autres organisés pour contenir des brancards, entre lesquels circulaient médecins et infirmiers.

À la dernière voiture, le drapeau de la convention de Genève, avec sa croix couleur de sang, semblait étendre son ombre protectrice sur ce long défilé de blessés et de mourants, et quand il eut disparu du côté des glacis de la citadelle, le train qui emportait le colonel Cardignac s’ébranla pour sa dernière étape.

Mais, presque aussitôt, des coups de sifflet répétés du commissaire militaire de la gare l’arrêtèrent, puis le firent rétrograder : un bataillon de la 3e division du 6e corps venait d’arriver, et le Maréchal Canrobert ayant donné