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soldats descendaient, buvaient, et plusieurs au départ ne remontaient plus. Au point du jour seulement, on atteignit Châlons.

En ce point, le train, au lieu de s’arrêter, continua sa marche sur Verdun ; des ordres étaient arrivés pour diriger directement sur Metz toutes les troupes appelées à faire partie du Corps de Canrobert. Les cris redoublèrent ; les officiers impuissants se taisaient.

Soudain, à la station de Saint-Hilaire, des sonneries de clairon dominèrent le bruit des chants et des cris ; toutes les têtes se penchèrent aux portières, et soudain le silence se répandit parmi ces mille hommes exaltés, comme si une puissance invisible venait de les toucher du doigt.

Le train roulait lentement, puis s’arrêta : et voilà ce que virent les soldats.

Tout près de la voie, un grand carré se développait, dont des troupes de toutes armes formaient trois faces ; l’une des faces était adossée à la voie ferrée, et comme cette voie était en remblai, le train maintenant arrêté dominait tout le terrain, comme si on eût choisi ce point à dessein pour permettre à tous de mieux voir.

La quatrième face était vide, mais deux poteaux s’y dressaient lugubres, et, à quelques pas de ces poteaux, espacés d’une dizaine de mètres, deux détachements de douze hommes chacun, l’arme au pied, attendaient immobiles.

Les mobiles, penchés aux portières du train, comprirent, et bientôt ce fut dans le bataillon un silence de mort.

Un roulement se fit entendre, assourdi comme si les tambours eussent été recouverts de crêpe ; puis des commandements lui succédèrent poussés par un colonel à cheval au centre du carré.

— Baïonnette au canon !… portez vos armes !…

Un fourgon, traîné par deux chevaux et percé d’étroites fenêtres grillées, apparut.

Dix gendarmes l’escortaient ; il se dirigea vers les poteaux.

Un aumônier militaire en descendit le premier, reconnaissable à la large croix d’argent qui brillait sur sa poitrine.

Il tenait un crucifix à la main et derrière lui deux hommes parurent, d’une pâleur de cire, portés plutôt que soutenus par des soldats du train.

C’étaient les condamnés à mort qui allaient être fusillés.