Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/410

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avais comme moi suivi la campagne de Sadowa, tu saurais que le canon prussien, le canon Krupp, porte à quatre mille mètres et plus.

— À plus de quatre kilomètres ! s’exclama Mahurec, en ouvrant des yeux énormes… Ah ! par exemple !…

— Joins à cela, reprit le vieil officier, que ce même canon tire plus vite que le nôtre, puisqu’il se charge par la culasse, et qu’enfin les Prussiens ont deux fois plus de pièces que nous et les font agir par masses… Ainsi, à Froeschwiller, l’autre jour, ils en avaient deux cents sur une même position. Quelle infanterie peut résister à ça ?

— Deux cents pièces tirant ensemble, s’écria le Breton… ça devait être rudement beau !…

Quand Mahurec se fut retiré et que Georges, le regard brillant de fièvre, fut remonté dans sa chambre, le colonel Cardignac prit les mains de sa femme et la regardant dans les yeux :

— Tu lis en moi, n’est-ce pas, ma chère Valentine ? fit-il ; tu devines ce que je veux te dire… L’exemple de cette âme simple, de ce brave homme reprenant son ancien uniforme, me montre la voie à suivre… Je pars demain…

— Oh ! Jean, fit-elle dans un sanglot longtemps comprimé et jaillissant soudain.

— Ne pleure pas… J’obéis à des voix qui me sont chères : à celle de mon père, qui ne comprendrait pas mon inaction ; à celle de mon frère, mort au champ d’honneur. — J’entends, encore, le jour du retour des Cendres, mon père, brisé par la maladie, dire à ma mère : « Lise, prépare mon vieil uniforme… » Je te fais aujourd’hui la même prière. Si Dieu veut que je reste là-bas, élève notre Georges dans les principes d’honneur qui nous ont été légués… Si cet honneur le pousse à me rejoindre ou à me venger, laisse-le faire… La Patrie est une mère exigeante, tyrannique même ; mais nous lui devons tout, et les Cardignac n’ont jamais eu d’autre culte que le sien !


Valentine, ce soir-là, ne se coucha pas et pleura toutes ses larmes. Georgewitz, lui non plus, n’avait pas voulu se coucher et aida le colonel dans ses préparatifs de départ.

Quand Mahurec descendit, le matin, de bonne heure, de sa chambre pour prendre congé, il poussa une exclamation de surprise.