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le commandement. Enfin, le ministère Ollivier est par terre et l’Impératrice vient d’appeler le général Cousin-Montauban à la guerre… Un désastre militaire peut survenir à la frontière d’un moment à l’autre…

« Tiens, Mahurec, assieds-toi là ; tu vas prendre le thé avec nous, et puis on va te préparer une chambre ici et tu ne partiras pas demain matin sans venir me parler.

— Oh ! mon colonel… je n’oserai jamais…

— Assieds-toi, te dis-je… Tu ne faisais pas tant de manières en Crimée, quand tu finissais le restant de ma cafetière, le matin, au réveil.

— Ah ! mon colonel, c’était le bon temps… C’est dur d’avoir vu tout ça si bien marcher, tandis que maintenant… Mais, voilà, on n’a plus confiance.

— Tu as dit le mot, Mahurec : la confiance n’y est plus… et quand la confiance n’y est plus, la défaite arrive.

— Alors, mon colonel, risqua le Breton, vous ne l’avez plus, vous, la confiance ?

Le colonel ne répondit pas ; peut-être regrettait-il d’en avoir trop dit devant Georges, dont il sentait sur lui le regard plein de muettes interrogations et dont il devinait les secrets élans. Mahurec reprit :

— Pourtant, mon colonel, il y a Mac-Mahon ; il n’a pas flanché en Italie, celui-là. Et en Crimée, vous rappelez-vous comme il était beau, le jour de Malakoff ?

— Certes oui.

— Et puis, il y a Canrobert, poursuivit le Breton en s’animant davantage ; un brave celui-là, et aimé du soldat…

— Eh oui, Mahurec, je me les rappelle, et eux et bien d’autres ; mais la Crimée, l’Italie, c’est loin, très loin… et tu ne te doutes pas de l’abîme qui nous sépare de cette époque-là… C’est une guerre nouvelle qui commence : la guerre scientifique, et le dernier mot va être aux États-majors, au fusil à tir rapide et au canon à longue portée.

— Eh bien, fit Mahurec, nos canons ne portent-ils pas aussi loin que ceux des Prussiens ? Songez donc ; à deux mille trois cents mètres, à Magenta, on arrivait à taper sur les réserves des Autrichiens ; et en avait-on un plaisir quand on voyait leurs boulets s’arrêter à moitié chemin !

— C’est justement le contraire qu’on va voir, mon pauvre garçon ; si tu