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que ces chassés-croisés, ces ordres et contre-ordres, chevauchant les uns sur les autres ; ces fatigues inutiles imposées aux hommes et aux chevaux ; cet épuisement des escadrons avant même d’avoir vu l’ennemi ?… Et puis, si encore elle faisait son métier, notre cavalerie ! Mais jusqu’à présent elle n’a encore fourni aucun renseignement utile : il semble qu’elle n’existe que pour garder les bagages ou pour se faire écharper à la fin des batailles en couvrant la retraite… Mille dieux ! ce n’est pas ainsi que l’Autre comprenait son rôle, et les cavaliers de Lasalle et de Murât prenaient quelquefois plusieurs jours d’avance sur la Grande Armée.

— Où est-il maintenant, ce pauvre Pierre ? murmura Valentine.

— Il devrait être au camp de Châlons ; mais a-t-il quitté Paris, seulement ? Son régiment devait faire partie de la division Du Barail ; mais il croit, dit-il, qu’il vont avoir le général Margueritte. Les chefs changent pour un oui, pour un non ; les troupes ne les connaissent pas… Que peut-il sortir de bon d’une pareille incohérence ?

— Et du camp de Châlons, où ira-t-il, mon cousin Pierre ?

C’est ainsi que Georges appelait le capitaine de chasseurs.

— Je ne puis te le dire et lui-même l’ignore probablement ; il me semble seulement que sa division ne peut tarder à rejoindre le corps d’armée auquel elle est attachée. Il a promis d’écrire souvent : nous saurons sans doute quelque chose demain.

Mme Renucci et Margarita vont-elles rester à Paris, ainsi toutes seules ? demanda Mme Cardignac.

— Je leur ai offert de venir passer quelque temps avec nous, tu le sais ; je vais leur réitérer mon invitation. Paris d’ailleurs n’est pas sûr en ce moment ; sait-on à quelles extrémités peut se porter une foule surexcitée par des nouvelles sinistres, et que d’habiles meneurs vont évidemment pousser contre le gouvernement responsable, contre l’Impératrice régente et la dynastie impériale ?

Le colonel fit une pause, et rendu plus calme par l’évocation de ce souverain tombant de si haut :

— Pauvre Empereur, poursuivit-il ; doit-il souffrir en ce moment, physiquement et moralement ? Voilà plusieurs années qu’une maladie cruelle le torture, et, quand on souffre, l’intelligence s’obscurcit ! J’ai bien pensé à aller le trouver comme autrefois, à le supplier de m’entendre, à lui dire