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Paris d’ailleurs, congédié ses élèves un peu avant l’époque habituelle des vacances, et nul ne savait si ses portes se rouvriraient à la date habituelle. Mais ce que nul alors ne prévoyait certainement, c’est qu’à cette date du 1er  octobre, les Prussiens seraient depuis dix jours devant Paris.

Ce soir-là, Georges était loin, très loin des méditations inhérentes à ses études classiques. Ce qu’il avait devant lui, c’étaient des feuillets écrits par son père depuis les deux années qu’il était en retraite.

Ils portaient comme titre ce seul nom : « Jean Tapin. »

C’était en effet l’histoire de l’ancien colonel de la Garde impériale, qu’à l’aide de nombreuses notes personnelles, de lettres laissées par sa mère, de documents trouvés dans les archives du ministère de la Guerre et de souvenirs d’enfance, Jean Cardignac avait reconstituée avec un soin pieux, campagne par campagne ; et brisé par ces récits épiques où le mot de victoire rayonnait à chaque page, Georges venait de faire une chute infiniment douloureuse en sautant subitement de la journée de Friedland qu’il avait lue le matin même, à celle de Froeschwiller qu’il venait d’entendre raconter.

Car le colonel Cardignac en avait trouvé une relation détaillée dans son journal ce soir-là, et, d’une voix tremblante, l’avait lue tout haut.

Secoué par des émotions inconnues, Georges, les yeux dilatés, songeait toujours, sans s’apercevoir que sa mère, lisant derrière son front, l’enveloppait maintenant d’un regard de tendresse effrayée.

Certes, Valentine pouvait être fière de son Georges, car l’espiègle que nous connaissons, chargeant un ennemi imaginaire sur son cheval de bois avec un sabre de fer-blanc, était devenu un beau garçon, solidement bâti, bien campé et qu’un entraînement physique raisonné et progressif, avait admirablement développé.

Très partisan des méthodes d’éducation anglaises qui n’ont été comprises en France que depuis peu et qui consistent à soigner le corps autant et plus que l’esprit, le colonel s’était efforcé de faire de son fils ce qu’on appelle, de l’autre côté de la Manche, un sportsman ; dans ce but, il l’avait de bonne heure mis en selle, et voué au culte de l’escrime qui développe si harmonieusement le corps et les membres. Il avait exigé qu’il connût la boxe pour être en mesure de se défendre partout, qu’il sût grimper, sauter, courir et faire preuve, en certains jeux, de force et d’agilité. Et il était