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— En route ! ordonna Lakdar-ben-Ali.

On se mit en route.

Après une rude étape de deux heures, accomplie à travers des sentiers rocailleux, au milieu de terrains incultes semés de touffes d’alfa, on aperçut, au flanc d’un escarpement qui dominait les pentes descendant vers la mer, un petit village kabyle.

— C’est là ! dit simplement Lakdar.

En effet, toute une population accourait, poussant des cris hostiles. Des enfants nus, aux grands yeux de velours, piaillaient en agitant leur touffe de cheveux, le mahomet, qu’ils portent sur le haut de leur crâne rasé, et ils crachaient par terre en lançant des cailloux aux prisonniers.

Kelb béni Kelb ! (chien, fils de chien), criaient les femmes.

Mais Lakdar mit tout ce monde à la raison, conduisit ses captifs dans une petite maison en pierres sèches, très basse sous sa kouba (coupole), blanchie à la chaux ; puis, quand ils eurent pénétré dans l’unique pièce, éclairée seulement d’une petite fenêtre grillée :

— Prenez patience ! dit-il ; il ne vous sera fait aucun mal si vous ne cherchez pas à vous évader. Je vous quitte : je vais chercher des instructions à Alger. Je serai promptement de retour.

— Que va-t-on faire de nous ? lui demanda le commandant d’Assigny.

— Dieu le sait ! répondit l’Arabe avec un geste attristé.

Puis, sans rien ajouter, il sortit brusquement, donna des ordres aux Kabyles armés qui l’avaient escorté jusqu’au village, et se dirigea vers un groupe de tentes situées à quelques centaines de mètres, sur le plateau. Là, il retrouva le groupe de cavaliers qu’il commandait, fit seller les chevaux et, escorté de sa troupe d’Arabes, il partit au galop.


Restés seuls, les prisonniers éprouvèrent dans leur détresse comme une détente.

Enfin ils pouvaient causer !

Du reste, la sentinelle indigène qui, de temps à autre, venait les considérer à travers le grillage de la fenêtre, ne leur adressa aucune injonction.

Évidemment, on leur laissait le droit de s’entretenir entre eux. Ils ne s’en firent pas faute, et, par de longues causeries, cherchèrent à tromper l’attente de la mort.