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expédition du Mexique ; le fusil Chassepot se fabriquait lentement, les cadres des régiments étaient vides, le trésor obéré. Il dut « ronger son frein » et le Maréchal Niel, effrayé des progrès militaires de la Prusse, persuada à Napoléon qu’en vue d’une guerre ultérieure avec cette puissance, la réorganisation de l’armée était la première des nécessités.

Cette réorganisation fut commencée ; mais la Prusse, qui avait déjà choisi son heure, et qui, pour être la maîtresse du vieux continent, n’avait plus que la France à abattre, la Prusse ne la laissa pas s’achever…


Jean Cardignac avait vu s’accumuler sur son pays les orages qu’il avait prévus. Découragé, sentant que la rancune impériale ne lui permettrait jamais de dépasser le grade de colonel, il prit sa retraite en 1868 et se retira au Havre, pour y diriger la maison Normand, aux côtés du père de Valentine. Le vœu que sa femme lui avait jadis exprimé de le voir quitter l’armée, se réalisait enfin ; mais il la quittait vieilli, anxieux, doutant de sa force, doutant surtout de la valeur du haut commandement. Il avait soixante et un ans !

Dès 1864, il avait placé Georges au lycée Louis-le-Grand, et, à la même époque, confirmé dans l’idée que Georgewitz n’avait pas les aptitudes voulues pour exercer une profession libérale, il l’avait fait entrer aux Arts-et-Métiers.. Il continuait donc dans la retraite la vie de travail qui avait toujours été la sienne ; le culte de la science allait lui faire oublier les désillusions et les mécomptes de sa carrière.

Il avait compté sans les événements.

De son côté, Pierre Bertigny, plus heureux que jamais avec Margarita, venait d’avoir, en 1869, une petite fille à laquelle on donna le nom de Thérèse. Il avait quitté le régiment des guides en passant capitaine, et, pour se rapprocher du colonel Cardignac, avait demandé et obtenu le régiment de chasseurs, en garnison à Rouen.

Très optimiste, heureux de vivre, il ne croyait pas aux prédictions sinistres de l’ancien officier d’ordonnance de l’Empereur ; il ne pouvait s’imaginer que la France pût être battue par une puissance quelconque, et que le régime impérial pût crouler. Le plébiscite de 1868 n’avait-il pas donné à l’Empire une formidable majorité ?

Ce fut dans cette quiétude que vint le surprendre le coup de foudre de 1870.