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ceux qui n’avaient pu rejoindre le brick avaient été pris. Henri en compta soixante-douze.

Après un conciliabule entre les cavaliers et l’Arabe dont le seul geste avait dispersé les femmes, ce dernier s’approcha du commandant d’Assigny, le fit délier, ainsi que de Nessy, Henri Cardignac et Goelder, puis, en bon français :

— Si vous tenez à votre vie, dit-il, n’essayez pas de fuir.

Les trois officiers échangèrent un regard stupéfait.

Qu’était donc cet indigène et comment avait-il pu s’assimiler la langue française au point de prononcer purement, sans accent, et sans incorrection, cette phrase d’avertissement.

Un sourire plissa ses lèvres.

— Cela vous étonne, dit-il, que je parle français… J’ai servi chez vous… aux mameluks de l’Empereur Napoléon !

Il énonça ce titre, « l’Empereur », avec un accent de respect indéfinissable et porta sa main droite à son cœur, comme s’il n’eût jamais prononcé ce grand nom sans l’accompagner du salut musulman.

— Ah !… je comprends ! murmura Cardignac.

— Oui, dit presque tout bas le vieil Arabe ; j’y serais encore s’il n’avait pas été pris par les Anglais… mais… silence !…

— Quelle rencontre extraordinaire ! pensa Cardignac. Enfin celui-là, du moins, n’a pas l’air de nous détester.

Mais Lakdar-ben-Ali — ainsi se nommait l’ancien mameluk — venait de les quitter pour aller chercher, dans les rangs des prisonniers du Silène, un officier, le lieutenant de vaisseau Bruat, et deux quartiers-maîtres. L’un de ces derniers, nommé Muttin, un tout jeune homme presque imberbe, était blessé au front.

Lakdar les ramena, et les prisonniers des deux équipages échangèrent de douloureux regards.

Puis, pendant que les quatre officiers, Goelder et les deux quartiers-maîtres étaient confiés à la garde d’une vingtaine de Kabyles, les autres captifs défilèrent tristement devant eux, sous la conduite des cavaliers et de leurs hommes. Derrière suivaient des mulets, chargés des sinistres sacs de cuir.

Ils contournèrent la plage et disparurent derrière les roches qui terminaient la pointe Est.