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nouveaux et du renchérissement de la vie, constitue encore de nos jours le maigre apport de la femme d’officier.

Les deux ménages, celui de Jean Cardignac et celui de Pierre, s’installèrent côte à côte rue de Bourgogne, car le lieutenant-colonel ne pouvait s’éloigner des Tuileries, où, au retour de la guerre d’Italie, il avait repris ses grandes et petites entrées.

Valentine avait fait à la jeune Italienne le plus gracieux accueil, et le grand plaisir de Margarita qui adorait les enfants, était d’emmener avec elle, soit au Cirque de l’Impératrice, soit au Guignol des Champs-Élysées, le petit Georges Cardignac, âgé de sept ans.

C’était maintenant un petit garçon à la mine hardie, à l’œil vif, au geste prompt, sans cesse en mouvement, et bien découplé dans son costume de marin. Il avait le regard volontaire, la bouche petite, le menton bien dessiné, et ses cheveux, dont la teinte chaude et dorée eût fait envie à une femme, tombaient encore en boucles sur ses épaules ; sa mère ne pouvait se résoudre à les lui couper, alléguant qu’elle le vieillirait du coup de plusieurs années et qu’il ne serait plus son petit Georges.

D’un caractère emporté, mais à un degré moindre que Pierre Bertigny jadis, il montrait une ténacité étonnante pour son âge, et se plaisait beaucoup plus dans les exercices du corps et les jeux violents que dans l’étude de ses leçons. Doué d’un esprit naturel très précoce, il faisait la joie de ses parents par ses saillies inattendues et ses réflexions pleines de drôleries.

À côté de lui, le petit Russe râblé, le dominant de la tête, était toujours silencieux et calme. Comme si un instinct atavique l’y eût secrètement poussé, il s’était fait volontairement le serviteur de Georges, lui obéissait sans mot dire, se pliait à toutes ses fantaisies, mettait à son service sa force déjà grande, tantôt le portant sur son dos, tantôt poussant sa petite voiture de jardin, en un mot, dépensant tout naturellement pour lui tout ce que son cœur de petit moujik contenait d’obscur dévouement.

L’occupation favorite de Georgewitz consistait à travailler le bois. Quand Georges le laissait tranquille, il s’ingéniait à fabriquer des petits bancs, des tables, des maisons minuscules. L’idée ne lui serait jamais venue de jouer au soldat et de revêtir un des nombreux uniformes que son pétulant camarade laissait traîner dans tous les coins de la maison.

Si bien que, lorsqu’il eut dix ans, le colonel Cardignac dit à Valentine :