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Regnaud de Saint-Jean-d’Angely, n’eurent donc qu’à marcher droit devant eux. La tour de Solférino étant le point dominant du champ de bataille, l’attaque française la prit naturellement pour objectif. Cette tour domine si bien toute la contrée, que les Italiens l’appellent la Spia d’Italia, « l’espionne » de l’Italie. La prise du cimetière de Solférino, formidablement défendu, puis l’enlèvement des hauteurs de Cavriana par les tirailleurs algériens et le 70e de ligne, enfin l’héroïque ténacité du corps d’armée du Maréchal Niel furent les facteurs principaux du succès.

L’artillerie française pouvait d’ailleurs en revendiquer sa bonne part : grâce à elle, l’accès de Solférino avait été rendu possible aux voltigeurs de la Garde ; les batteries du colonel Cardignac, envoyées fort opportunément sur un escarpement favorable par une heureuse inspiration du général Lebœuf, obligèrent l’artillerie adverse à se taire, et éventrèrent les murs crénelés du cimetière où les Autrichiens s’étaient fortifiés.

Ce fut pendant cette lutte d’artillerie qu’arriva à « Yvonne », la pièce de Mahurec, un accident qui faillit la rendre muette pour le restant de la journée.

Mahurec, dès la mise en batterie, avait commencé, suivant son habitude, à en régler le tir avec le plus grand soin, lorsque, soudain, un boulet de gros calibre, parti des batteries autrichiennes de San-Pietro, vint s’abattre en ronflant sur la « gueule » de sa pièce, puis ricocha sans tuer personne.

Le canon de Mahurec faillit quitter son affût, et, sous cette poussée formidable, recula de quelques mètres ; toutefois le Breton ne croyait pas à une avarie sérieuse, lorsque, en examinant la… bouche d’Yvonne, il s’aperçut que le boulet ennemi avait occasionné, à l’entrée même des rayures, un refoulement du métal, un véritable bourrelet de bronze.

Et vous le devinez sans peine, mes enfants, puisque les canons d’alors se chargeaient par la bouche et que l’obus était exactement du calibre de l’âme, le chargement d’Yvonne était du coup devenu impossible. Mahurec faillit en jurer de désespoir ; mais il ne jurait jamais que par saint Guénoël, et, invoquant le nom du saint breton, il accourut vers le lieutenant-colonel Cardignac qui, une lunette à la main, observait les effets du tir.

— Mon colonel, s’écria-t-il, v’là que je ne peux plus tirer… faudrait limer le bourrelet : y en a au moins pour trois heures de travail !…