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ne pouvait-il être nommé à ce grade qu’après une année passée à Saumur, c’est-à-dire à vingt-huit ans, alors que les privilégiés, sortant de Saint-Cyr, acquièrent ce grade à vingt et un ans, vingt-trois au plus. C’était donc pour lui, vis-à-vis de ces derniers, un retard de cinq ans au moins.

Et puis, l’entrée à Saumur, c’était son voyage d’Italie remis à l’année suivante.

Mais une autre réflexion le retourna comme un gant, et, pour la première fois, il lut clairement dans son âme.

Cette jeune fille, cette adorable Margarita à laquelle il ne cessait de penser, à quel titre avait-il espéré se rapprocher d’elle et acquérir le droit de lui parler de son affection ? Pouvait-il lui proposer d’unir sa vie à celle d’un sous-officier de carrière, elle, dont la famille était une des premières de Milan, sinon par la fortune, du moins par la considération.

S’il passait officier, au contraire, tous les espoirs lui étaient permis.

Promptement donc, il écrivit à Francesco Renucci que, lui aussi, entrait à l’École Militaire de cavalerie pour passer officier l’année suivante, et que cette raison seule avait pu lui faire différer la visite promise.

Quand il eut la réponse de Turin, huit jours après, il fut transporté au septième ciel, car, cette fois, tout un bouquet de myosotis s’épanouissait dans l’enveloppe, et les allusions de Francesco au souvenir de sa sœur, à la part qu’elle prenait à l’heureux événement survenu dans la vie de Pierre, lui semblèrent autant de présages d’un bonheur possible et relativement prochain.

En octobre 1858, donc, Pierre Bertigny entra à Saumur, et personne n’eût reconnu, dans le jeune homme à la physionomie sérieuse, au front mélancolique, mûri par l’expérience, le malheur et les campagnes, personne n’eût reconnu, dis-je, le gamin incorrigible, le révolté et l’indiscipliné de La Flèche, tant il est vrai, mes enfants, qu’il y a toujours de la ressource chez l’enfant qui a du cœur et une nature droite.

De plus, Pierre Bertigny avait compris la nécessité du travail, et le paresseux du Prytanée devint à Saumur un travailleur acharné : il en sortit dans un excellent rang qui lui permettait de faire choix d’un régiment.

Il se décida pour le 4e régiment de chasseurs, parce qu’il comptait y retrouver son lieutenant de peloton, le petit Vautrain, récemment nommé capitaine dans ce corps, après avoir quitté, lui aussi, les chasseurs d’Afrique.

Ce fut un beau jour pour lui, je vous l’assure, mes enfants, que celui où