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L’année 1856 s’écoula, marquée seulement par la signature du Traité de Paris, qui mettait fin officiellement à la guerre de Crimée et retardait pour un temps la décadence et la chute de l’Empire Ottoman. Aussi bien, cet empire était tellement ébranlé que, quatre ans après, il eut encore besoin de la France pour rétablir la paix dans une de ses provinces : une expédition française fut envoyée pour préserver la population chrétienne du Liban, les Maronites, contre les violences des Druses musulmans.

C’est aussi à cette époque, mes enfants, que l’intérêt de la France tournée vers l’Orient, s’y affirma par une grande œuvre de paix. Un Français, M. de Lesseps, entreprit, malgré la jalouse intervention de l’Angleterre, le percement de l’isthme de Suez qui, terminé depuis 1869, ouvre la plus utile des voies de communication, par la Méditerranée et la Mer Rouge, entre l’Europe et l’Asie.


Cependant Pierre Bertigny voyait arriver avec un secret bonheur l’époque qu’il s’était fixée pour aller voir ses amis de Turin ; il savait, par les lettres de Francesco, que sa mère et sa sœur l’avaient rejoint dans la capitale du Piémont et qu’il espérait entrer l’année suivante, en 1858, à l’École royale militaire.

Un jour, il avait trouvé, dans une de ses lettres, une fleur séchée de myosotis, et la vue de la poétique fleurette avait fait battre son cœur à coups précipités. Non, certes, il n’oubliait pas, et il comptait les jours qui le séparaient de son congé, lorsque le colonel L’Huillier le fit appeler à la salle des rapports.

— Maréchal des logis Bertigny, lui dit-il, vous avez demandé dernièrement une permission qui m’a donné la curiosité de consulter de près vos états de services : vous avez maintenant huit ans de présence sous les drapeaux et quatre ans de grade de sous-officier ; je trouve bien, à l’origine de votre carrière, une faute grave, mais je ne vous la rappelle que pour constater qu’elle a été noblement réparée, puisque vous avez obtenu une citation à l’ordre de l’armée d’Orient. Votre instruction générale est suffisante, vos connaissances professionnelles très complètes, votre science en équitation approfondie ; en un mot, je ne sais pas pourquoi vous semblez vous confiner dans le grade de sous-officier, alors que vous avez tout ce qu’il faut pour devenir un très bon officier de cavalerie…