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— Vous avez bien fait de revenir au plus vite, approuva l’excellent homme, car il aurait pu vous en cuire ; tout cela est fort triste et la situation est des plus inquiétantes ; l’antagonisme est tel aujourd’hui en Lombardie, entre Italiens et Autrichiens, que la lutte ne peut tarder à en sortir ; au théâtre, dans les lieux publics, partout, on s’évite ou on se provoque ; les maisons particulières sont fermées aux agents du gouvernement. Les Autrichiens ne sont pas installés dans ce pays : ils y sont campés le revolver au poing, et Dieu sait comment tout cela finira si la France ne s’en mêle pas.

— La France ne sera pas seule, opina Pierre : l’Angleterre qui vient d’être notre alliée en Crimée sera de nouveau avec elle.

— Détrompez-vous, répliqua vivement M. Petitpied. L’Angleterre y a été de son concours le plus actif en Crimée parce qu’il s’agissait pour elle d’une question vitale : la prédominance de la Russie à Constantinople dont elle ne veut à aucun prix ; mais l’indépendance de l’Italie n’a pour elle qu’un intérêt secondaire, et comme elle ne sacrifie jamais au point de vue sentimental, elle n’interviendra pas. C’est un peuple trop pratique pour risquer, dans un cas comme celui-ci, un soldat ou un écu ; c’est bon pour la France ce rôle-là.

— C’est un beau rôle, s’écria Pierre avec feu !

— C’est quelquefois un rôle de dupe ! murmura en hochant la tête le Consul de France.

Quelques jours après, Pierre s’embarquait sur un bateau côtier, à destination de Marseille et y prenait le train pour Paris, un peu embarrassé, il faut l’avouer, par son rôle de bonne d’enfant, mais s’y appliquant de son mieux.

Pierre Bertigny trouva Valentine à la fois triste et heureuse ; triste de la mort de Henri Cardignac qu’une dépêche laconique lui avait apprise, heureuse de voir la fin de cette guerre meurtrière et de n’avoir plus rien à redouter pour son mari.

Pendant les premiers jours, elle ne se lassa point de faire raconter à Pierre les détails de l’assaut de Malakoff et du bombardement qui l’avait précédé, et elle ne manquait jamais de conclure par cette phrase :

— Quelle affreuse chose que la guerre !

Elle versa des larmes abondantes au récit de la mort si émouvante de Henri, et de la fin si belle et si tragique de Lucienne, et montrant le petit Georgewitz :