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viens de te marier… Et toi aussi, Noël, ta vieille mère n’a que toi… Allons… c’est l’ordre ; embarquez…

Et devant leur muette hésitation :

— C’est l’ordre, répéta-t-il de la voix de commandement qu’il avait aux heures graves ; obéissez !…

Puis à un vieux timonier qu’il venait de désigner :

— L’escadre doit-être là ! dit-il en montrant le nord-ouest ; gouverne de ce côté, et raconte à l’amiral ce qui est arrivé.

Il n’eut pas le temps d’en dire plus : trente-cinq hommes venaient de gagner les canots et les poussaient au large ; le jour se levait ; les Arabes, voyant une partie de leur proie leur échapper, quittaient la lisière de cactus derrière laquelle ils avaient été refoulés, et Cardignac, emporté par leur remous, reculait avec son monde, diminué de moitié.

Quelques minutes après, l’héroïque petite troupe était noyée dans la masse des assaillants. Vingt bras s’abattirent sur chacun d’eux ; des ceintures, des lanières de fouet, des courroies en poil de chameau, s’enroulèrent autour de leurs poignets.

Cardignac, qui se défendait comme un lion blessé ; fut soudain immobilisé par un burnous qu’on lui jeta sur la tête…

Et bientôt, sur la plage qu’éclairaient maintenant les premières lueurs de l’aurore, ceux des nôtres qui avaient survécu à la tuerie étaient étendus côte à côte, étroitement entravés, le visage couvert d’un bâillon, pendant que les Kabyles exhalaient bruyamment la joie de leur triomphe en un jargon incompréhensible, ponctué de mimiques bizarres.

Le commandant d’Assigny, de Nessy, Henri Cardignac et trente et un matelots ou soldats survivants étaient prisonniers des Arabes !