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que lui causait la révélation de ce titre de combattant de Sébastopol, car il n’était bruit en Europe, à ce moment, que des prouesses accomplies de part et d’autre en Crimée ; mais la rage d’avoir été désarmé devant deux femmes par cet inconnu muni d’une simple canne, le faisait trembler de colère et il répondit :

— Si cet homme était italien, je l’aurais fait bâtonner ; mais, puisqu’il est français, je lui ferai l’honneur de me battre avec lui : il recevra tout à l’heure la visite de mes témoins, ici même.

— Je les attends, fut la seule réponse de Pierre, quand Francesco, exaspéré par l’insulte à l’adresse des Italiens l’eut traduite. Le soudard ramassa les tronçons de son sabre, ouvrit la porte et disparut.

Alors comme si rien d’anormal ne se fût passé, Pierre Bertigny s’inclina profondément devant Mme  Renucci et sa fille, puis se nomma.

Mais, à ce moment, le souvenir lui revint de la lugubre nouvelle qu’il apportait.

Cette nouvelle allait effacer, pour longtemps, le sourire plein de charme qui se dessinait sur les lèvres de la jeune fille, maintenant remise de sa terreur, et, à la pensée qu’il fallait parler, une sueur froide enveloppa Pierre de la tête aux pieds.

— Veuillez me faire l’honneur d’entrer dans ma maison, monsieur, dit la mère, et considérez-la comme vôtre : un Français est partout chez lui dans notre malheureux pays ; et vous êtes doublement Français, puisque vous êtes soldat.

Pierre entra dans le grand salon. À tout autre moment, son attention eût été attirée par les merveilleuses fresques qui en couvraient les murs et le plafond ; mais, devant les regards interrogateurs de la mère et de ses deux enfants, il se troubla et ne trouva plus un mot à dire.

Son hésitation était si visible et son regard si rempli d’angoisse que Mme  Renucci pâlit.

— Mon Dieu ! monsieur, fit-elle, m’apportez-vous des nouvelles du capitaine, de fâcheuses nouvelles ?… J’ai peur !… Et comme Pierre, de plus en plus ému et gêné, ne répondait pas :

— Vous l’avez vu… poursuivit-elle, serait-il blessé ? Pourtant sa dernière lettre, très récente, nous annonçait la fin de la guerre et son prochain retour… Parlez, je vous en conjure !… Vous me terrifiez !…