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frappé à la porte, fut celle d’un sous-officier autrichien qui avait été imposé comme garnisaire à Mme  Renucci, bien qu’il fût de règle, en pays civilisé, d’éviter cette charge, en temps de paix, aux femmes seules et aux veuves.

C’était un Croate, type du véritable soudard, à la barbe d’un roux ardent, à la figure enluminée, au verbe haut, et dont le sabre résonnait dans toute la maison avec un grand bruit de ferraille.

Il toisa insolemment le visiteur et l’interpella en allemand.

Pierre ne comprit rien à son apostrophe ; mais l’air rogue du sous-officier le fit bondir, et sur le même ton, il répliqua en français :

— Ce n’est pas à vous que j’ai affaire : je viens voir ici Mme  Renucci.

Mais le Croate, planté au milieu de l’antichambre, les bras croisés, réitéra sa question, barrant le passage.

Le sang afflua aux tempes de Pierre : il était, nous le savons, peu endurant, de tempérament ardent et batailleur. Tout ce que le capitaine italien lui avait raconté de la tyrannie et des vexations autrichiennes en Lombardie lui revint à la mémoire, et, oubliant les plus élémentaires leçons de prudence, puisqu’il était sans permission régulière en pays étranger, il s’élança menaçant sur le garnisaire.

— Je ne comprends rien à ce que vous me racontez, cria-t-il les yeux brillant de colère ; mais vous allez me laisser passer, entendez-vous, car vous n’êtes pas le maître ici !

Le sous-officier recula d’un pas, mit la main à la garde de son sabre et nul ne sait comment se fût terminée cette scène, lorsque, en haut de l’escalier, une femme en noir parut, très pâle sous ses bandeaux de cheveux argentés ; elle avait les traits classiques, les yeux sombres et la démarche noble des femmes romaines : une longue écharpe de dentelle était jetée sur ses épaules.

Descendant quelques marches, elle adressa à l’Autrichien dans sa langue une phrase dont Pierre ne comprit pas le sens, mais dont il lut clairement l’effet sur la physionomie du soldat, car ce dernier fit un pas menaçant vers l’escalier.

Notre ami en profita pour passer, gravit les premières marches, se découvrit et allait se présenter, lorsqu’il sentit une main s’appuyer lourdement sur son épaule et l’attirer brusquement en arrière.

Alors, il ne se contint plus, un voile rouge passa devant ses yeux et la